Articles

Oscars 2022 – La nuit blanche valait-elle le coup ?

0

Nouvelle année, nouvelle cérémonie. Toujours les mêmes déçus, toujours les mêmes ravis. Et nous d’y croire une fois encore, de penser au fond que cette année, c’est la bonne, et que tous nos vœux de récompenses seront enfin exaucés. Les Oscars répètent un cycle qu’on ne saurait jamais briser : les goûts et les couleurs, paraît-il, qui tournent inlassablement au fil des conversations, et viennent toujours s’échouer sur les rives hollywoodiennes, aux portes du Dolby Theatre. Toujours la même rengaine : l’année passe, avec elle les émotions, les films dont on tombe amoureux, les autres qu’on oublie sur l’instant ; vient la cérémonie, sa pluie de récompenses, et qui nous paraît faire tomber parfois très arbitrairement les prix du ciel angeleno. Nulle volonté de jouer ici les ingénus, et de venir s’étonner quant aux campagnes préalables menées par les sociétés de production, toutes venues convaincre que leur film est évidemment le plus beau : ça ne date pas d’hier, ça continuera demain. Reste que les Oscars demeurent cet énigmatique point de rendez-vous, nuit blanche à ne pas manquer, que les cinéphiles prennent autant de plaisir à critiquer qu’à regarder. Cette année, il y a pour le moins matière à débats. Des prix comme s’il en pleuvait, mais furent-ils mérités ? Quant aux présentateurs, futiles ou courageux ? Du reste, certains événements fortuits purent-ils extraire la cérémonie de son corsetage habituel ? Les échanges se poursuivront au fil de l’article, où nos téméraires chroniqueurs reviennent sur les grands moments de la soirée, les plus marquants, les plus frappants même. Pour ce qui nous concerne désormais, en dépit de tout le mal qu’on en dit, reste à attendre encore une fois l’année prochaine, que soient réparés les méfaits, que soient retrouvées les joies.

Luca

Quel(s) a / ont été le(s) prix le(s) plus mérité(s) ?

Dauphine : Dune ne pouvait pas plus mériter son Oscar Best Sound. J’ai encore le bourdonnement du désert dans les oreilles et le tremblement des basses dans les tempes. L’atmosphère sonore est pleine et pesante. Dune fait vibrer la salle de cinéma toute entière d’une musicalité sourde. Très fort. Et maintenant je laisse la parole à Joffrey pour qu’il puisse piétiner mon avis sans aucune gêne.
Avant ça, j’ajouterai juste un petit mot pour l’Oscar Best Costume Design décerné à Cruella, amplement mérité lui aussi !

Joffrey : Il est assez logique que la majorité des récompenses techniques (photographie, effets visuels, montage, musique…) aient été attribuées à Dune, film d’ingénieur par excellence qui sacrifiait l’émotion au profit d’une maîtrise formelle indéniable. De même, le prix pour Ariana DeBose (malheureusement le seul de West Side Story) tenait de l’évidence. En revanche, le fabuleux Drive My Car aurait pu se faire voler l’Oscar du meilleur film étranger par Julie (en 12 chapitres), la victoire d’Hamaguchi peut donc être considérée comme un réel soulagement.

Mamoun : Belfast remportant l’Oscar du meilleur scénario original est un superbe hommage rendu à Kenneth Branagh qui a su nous conter un récit intime et poignant d’une enfance troublée par… “The Troubles”, ce tristement célèbre conflit nord-irlandais qui poussa des familles à choisir entre l’amour de leur patrie et leur survie. Billie Eilish méritait également son Oscar de la meilleure chanson originale pour “No Time to Die”, une superbe chanson à écouter au travail et qui confirme à nouveau que le générique des films James Bond représente souvent un des meilleurs moments du film. Et bravo Troy Kotsur, et bravo CODA ! Chic victoire pour un chic film (même si Nightmare Alley aurait également pu être récompensé).

Yan : Je trouve que le prix attribué à Drive My Car pour meilleur film en langue étrangère a été bien mérité, ainsi que bien évidemment le prix de meilleure chanson originale pour Billie Eilish, qui à 20 ans a déjà son premier Oscar. C’est bien de voir aussi Belfast gagner le prix de meilleur scénario original, même si je trouve il aurait plus mérité d’avoir le prix de meilleur son ou de meilleure photographie (s’il avait été nommé) que le prix du meilleur scénario original. Dune a bien mérité le prix de meilleurs effets visuels.

Quel(s) a / ont été le(s) prix le(s) moins mérité(s) ?

Yan : Je trouve que c’est vraiment dommage que Dune emporte tellement de prix, même s’il est vrai qu’il en méritait quelques uns. Toutefois je trouve que Belfast méritait plus le prix de meilleur son que Dune, que West Side Story méritait plus le prix de meilleurs décors que Dune et également le prix de meilleure photographie, et que Don’t Look Up ou Encanto méritaient plus le prix de meilleure musique de film que Dune. Je trouve que Judi Dench aurait pu gagner aussi le prix de meilleure actrice secondaire pour Belfast, même si Ariana DeBose méritait aussi ce prix pour West Side Story. Finalement, je suis assez déçu pour le prix de meilleur réalisateur – Jane Campion a battu Kenneth Branagh, Paul Thomas Anderson et Steven Spielberg.

Joffrey : La victoire de Jane Campion face à Steven Spielberg et Paul Thomas Anderson, ou bien celle d’Encanto face aux Mitchells, laissent forcément un arrière-goût amer. Mais c’est évidemment l’inexplicable Oscar du meilleur film pour CODA qui surprend le plus. Rien d’autre qu’une itération haut-de-gamme du teen-movie de plateforme, sa consécration interroge sur les critères de l’académie. Si c’est loin d’être la première fois qu’un film parfaitement anodin obtient ce prix, l’extrême banalité de CODA et son absence totale d’ambitions autant cinématographiques que narratives en font un assemblage de situations déjà-vu, sympathiques mais oubliables. A l’exception d’un message convenu d’acceptation de la différence qui aura peut-être séduit un jury porté sur la tolérance, difficile de justifier un tel choix.

Luca : Tout prix qui n’a pas été décerné à Licorice Pizza, évidemment. Que le plus beau film de l’année ne se voit pas récompensé relève au mieux de l’hallucination collective. Mais en définitive, c’est peut-être mieux comme ça. Le film nous reste plus proche, familier, intouché par des apparats hollywoodiens qui n’auraient fait qu’abimer son insouciance mélancolique. Il ne faut pas déloger la grâce.

Mamoun : Je rejoins Joffrey sur l’idée de la victoire Encanto constituant un petit rapt, mais au détriment de Raya and the last Dragon qui, bien qu’il soit passé sous les radars, constitue l’un des plus beaux films d’animation de ces dernières années.

Dauphine : Sans nul doute, le prix du meilleur film attribué à CODA. L’histoire est certes touchante, le jeu de certains acteurs émouvant, mais est-ce pour autant le meilleur film de l’année ? Une telle affirmation me semble très très osée.
Sorry Mamoun, mais je n’aurais pas attribué l’Oscar du meilleur scénario original à Belfast non plus, notamment au vu de la compétition. C’est un très beau film certes, très nostalgique et émouvant, mais face à Julie (en 12 chapitres) par exemple, je ne comprends pas comment un tel choix a pu être fait.

Quel a été le meilleur moment de la soirée ?

Joffrey : Théoriquement, la réunion du trio légendaire du Parrain aurait pu être le sommet de cette cérémonie, mais c’est finalement le discours hallucinant de Will Smith qui a été le plus impressionnant. Quelques minutes à peine après avoir giflé Chris Rock, il se présente comme un « ambassadeur de l’amour », faisant appel à Dieu et rejetant la faute sur son rôle dans La Méthode Williams, des larmes aux coins des yeux. Cette séquence, d’abord simplement de mauvais-goût, devient parfaitement hilarante dès lors qu’on en réalise pleinement la portée lunaire.

Mamoun : Je vais pas dire Will Smith… mais en vrai si, c’était Will Smith. Ah, et comme on dit qu’une image vaut mieux que 1000 mots, je dirais que ces séquences mises bout-à-bout représentent le meilleur moment de la soirée :

Dauphine : Le moment où je me suis rendue compte que Rami Malek ne clignait jamais des yeux. J’ai été réellement impressionnée !

Yan : Les meilleurs moments de la soirée pour moi (car il est difficile de parler d’un seul moment) doivent être les hommages rendus au Parrain pour ses 50 ans, à la saga James Bond et également à Pulp Fiction (même si on a fêté les 27 ans ce qui n’est pas très logique). Voir Samuel L. Jackson débarquer sur scène avec sa mallette pour l’ouvrir et annoncer le prochain prix, voir débarquer les trois légendes que sont Coppola, Al Pacino et De Niro c’était phénoménal aussi. Et quel plaisir de voir Anthony Hopkins annoncer le prix de meilleure actrice également, une légende vivante.

Luca : Sans hésitations aucune, trois noms : Francis Ford Coppola, Al Pacino & Robert De Niro. On ne parle plus de légendes ici, c’est autre chose de plus grand encore. Voilà trois hommes qui, pour ma part et sans en faire trop, ont changé ma vie, et l’accompagnent encore aujourd’hui. Les voir réunis à l’occasion des 50 ans du Parrain émeut tout particulièrement. Hélas bien sûr, le moment fut quelque peu gâché par l’incident survenu quelques minutes auparavant : c’est qu’on préfère souvent se rattacher au provisoire plutôt qu’au définitif. Reste que l’image est là, qui restera.

Quel a été le pire moment de la soirée ?

Mamoun : Je dirai rien j’veux être positif.

Luca : CODA.

Yan : Difficile d’en dire un, mais j’ai trouvé l’incident entre Will Smith et Chris Rock assez ridicule, éclipsant les moments importants qui s’ensuivaient et plombant l’ambiance des Oscars. Parfois, il a été regrettable aussi de voir les Oscars mal manier des sujets sensibles de société et de trop rentrer dans la société du spectacle. La guerre en Ukraine par exemple, avec une référence dont le message est honorable mais dont la formulation est très maladroite. Le fait également que le public n’applaudisse pas pour CODA et utilise le langage des signes quand le film gagne un Oscar, mais que l’inclusivité n’aille pas plus loin pour tous les autres films : comme si les sourds et les muets ne pouvaient que voir et comprendre les moments où CODA gagnait un oscar ou quand Troy Kotsur montait sur scène (beaucoup de respect pour lui, par ailleurs).

Joffrey : Les cérémonies de ce genre ont toujours tendance à vouloir s’impliquer maladroitement au sein d’enjeux qui les dépassent. La présentatrice qui, au détour d’une annonce, affirme rapidement sur le ton de la plaisanterie : « un génocide se déroule en Ukraine et des femmes perdent leurs droits » fait symptôme d’une incapacité à parler avec justesse de sujets sérieux. Pareillement, la tirade larmoyante de Jessica Chastain sur le suicide avait tout d’un spot de prévention gouvernemental, aussi artificiel que désincarné. 

Dauphine : J’attendais avec impatience le live de “We Don’t Talk About Bruno”. J’ai été déçue. Les danseurs étaient dynamiques mais le chant n’était malheureusement pas au niveau de la version enregistrée en studio. Les performances live requièrent toujours plus de travail et de technique que les sessions studio, surtout si les artistes doivent associer chant et danse sur la scène des Oscars, mais je reste tout de même attristée qu’on n’ait pas rendu justice à une chanson aussi géniale. J’ai bien peur qu’aucun de mes confrères co-spectateurs ne daigne regarder Encanto maintenant, alors que c’est un super film avec des supers chansons !

Quel avis sur l’incident concernant Will Smith et Chris Rock ?

Dauphine : Une minute de rare malaise.

Mamoun : Génial ! On a bien rigolé à 4h du matin.

Yan : C’était du gros n’importe quoi, Will Smith a juste craqué sur scène. Ça sera mental cassage en bas pour lui.

Quel avis concernant les sketchs, les intervenants et les différents moments de la soirée (in memoriam, les hommages, les chansons)  ?

Mamoun : En ce qui concerne les sketchs et tacles envers les célébrités, il serait mentir que de nier le fait qu’ils représentent la signature de ces cérémonies. Ces piques contribuent incontestablement au caractère divertissant de cette émission en nous rappelant en permanence que ces personnalités de Hollywood ne sont pas des déités intouchables (n’en déplaise à George Clooney et son discours smug de 2006). DiCaprio se faisant allumer une ultime fois par rapport à l’âge de ses dernières partenaires en est l’illustration parfaite. En tout cas, nous, bon public, on rit. On rit bien.
Ah oui, cela dit, avertissement : il ne faut pas se moquer de la maladie des femmes d’acteurs qui jouent dans Hitch. Vous risquez de vous faire gifler très fort.

Dauphine : Je ne reviendrai pas sur We Don’t Talk About Bruno RIP.
Concernant les autres performances, je salue le sens du spectacle à l’américaine mais je n’en ressors pas époustouflée comme je sais que j’aurais pu l’être. Dommage.

Yan : Le in memoriam était un beau moment de la soirée – même si sa portée symbolique a été éclipsée par l’incident avec Will Smith qui a eu lieu juste avant – et comme dit avant, les hommages ont été selon moi les meilleurs moments de la soirée. 
Pour celles et ceux qui ont suivi les Oscars sur Canal +, Didier Allouche est juste hilarant – surtout quand il se prend continuellement des vents sur le tapis rouge, quand on le voit parler on a l’impression qu’il est torché.

Quel avis concernant les films sélectionnés, au-delà des prix attribués ? Quels films ont été absents et auraient mérité d’être présents, quels films auraient dû être plus récompensés ?

Dauphine : Je regrette que Madres Paralelas n’ait eu aucun prix. Pénélope Cruz aurait facilement pu remporter l’Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans ce film intense, original et moderne. Dans mes rêves les plus fous, j’aurais également été ravie de voir Andrew Garfield monter sur scène pour son jeu dans Tick, tick… boom!
Par ailleurs, j’ai beaucoup aimé Dune mais je ne lui aurais pas accordé 6 Oscars pour autant. J’en aurais bien donné un à Nightmare Alley en revanche, celui de la photographie ou des décors par exemple. Je pleure de mes deux yeux pour Julie (en 12 chapitres), arrivé avec 2 nominations et revenu bredouille. Le fait que Licorice Pizza, lui aussi, n’ait absolument rien remporté prouve que les critères des Oscars sont une véritable passoire à chefs d’œuvre. Les Oscars récompensent largement, et à raison certes, l’expertise technique et les effets spectaculaires, mais le minimalisme  n’empêche pas toujours de faire du grand art – au contraire ! – surtout quand il s’agit d’un choix de direction artistique clair.

Joffrey : L’absence totale de The Card Counter est particulièrement regrettable, le film de Paul Schrader figurant, aux côtés de West Side Story et Licorice Pizza, parmi ce que le cinéma américain a fait de mieux cette année. Mais cela n’a finalement rien de surprenant, quand on voit le traitement que les deux autres films ont reçu. Que Spencer ne soit nommé que pour le rôle de Kristen Stewart, et pas pour les meilleurs costumes, meilleur film ou meilleur réalisateur reste aussi une anomalie, surtout au vu des standards de la concurrence. Et si un élan chauvin fait regretter qu’avec une Palme d’or et un Lion d’or, la France n’ait pas réussi à se qualifier pour la cérémonie, c’est la place de productions étrangères à l’Oscar du meilleur film qui me paraît particulièrement contre-productive. Si la démarche part du désir d’inclure l’international dans le prix le plus prestigieux, elle finit par asseoir encore plus explicitement qu’avant l’égocentrisme américain en récompensant un film local face à des œuvres du reste du monde. Ici, la victoire de CODA face à Drive My Car, meilleur film étranger, donne par conséquent le sentiment que CODA serait le meilleur film de 2022 du monde. Or, cette affirmation est d’autant plus insensée qu’une seule scène en langage des signes du film de Ryusuke Hamaguchi met à l’amende tous les balbutiements cinématographiques de Sian Heder.

Yan : On aurait certainement du plus récompensés des bons films comme West Side Story ou comme Belfast, qui ont finalement et chacun 1 prix seulement – ce sont deux films qui sont vraiment beaux, surtout Belfast, et que je conseille vivement.

Mamoun : Free Guy aurait dû être plus mis en avant, mais la qualité de ses effets visuels a malheureusement été éclipsée par Dune qui a tout raflé, comme Joffrey le rappelle plus haut. Mais plus grave encore : cela faisait longtemps qu’une comédie musicale américaine de la qualité d’In the Heights n’avait pas été réalisée, en ce sens son absence à la cérémonie relève de l’infamie. Les 8 premières minutes du film à elles seules auraient pu valoir de remporter l’Oscar du meilleur court-métrage ; subséquemment, le film n’étant pas nommé à un seul moment pour la qualité de sa mise en scène, du jeu, des décors, voire du montage constitue un événement fort triste. Mais on s’en remettra. Un jour. Sans doute.

Rétrospective Tarkovski – L’impuissance des mots

Previous article

Petite Nature – Au revoir là-bas

Next article

Comments

Comments are closed.

Login/Sign up