Cinéma

Ambulance – La Bay des anges

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Ce ne serait pas mentir que d’évoquer de légères craintes à l’entrée dans la salle. Non qu’on ne savoure pas son Michael Bay avec enthousiasme parfois, mais on admettra facilement que c’est rare. Entre les affres miteuses de son Pearl Harbor, l’enfer pyrotechnique de ses Transformers et le tragique patibulaire de son Armageddon, on peut légitimement craindre que la foudre Bay s’abatte encore une fois sur nous. Et pourtant, quelle ne fut pas ma surprise lorsque, à l’apparition du générique, vint poindre sur mon visage un véritable sourire de satisfaction. Rien de bien dément bien sûr, mais l’impression toujours très agréable qu’en plus d’avoir passé un bon moment, on vient de regarder un vrai bon film. Peut-être était-ce le froid, l’humeur ou l’alignement des astres, mais force est de constater : Ambulance, c’était quand même vachement cool.

Tout commence, comme souvent chez Michael, à Los Angeles. Sa baie, sa forme, son crépuscule, que le cinéaste a toujours filmés amoureusement. Deux frères, l’un vétéran, l’autre braqueur, s’engagent dans une course à 32 millions de dollars : l’attaque d’une banque en plein LA, qui s’ensuivra d’une poursuite tentaculaire dans les rues de la ville. On remarquera d’emblée l’influence salutaire de Mad Max : Fury Road : le principe est simple, la ligne claire, deux heures de course-poursuite effrénée sans remises ni tergiversations. Michael Bay n’est jamais si mauvais que lorsqu’il plonge avec sa caméra bien grasse dans les atermoiements psychologiques : sa finesse pachydermique n’est plus à démontrer, rien à en tirer. En revanche, il n’est jamais si bon qu’en se fixant l’horizon net d’un shoot bêta d’action décérébrée. C’est toute la noblesse de cette Ambulance lancée sans relâches, qui tient son élégance de son humilité.

D’action il ne peut être question sans mise en scène bien rôdée. On ne compte plus les films déjà venus s’écraser dans les limbes de la laideur, de l’illisible, sous prétexte d’une réalisation nerveuse. Bay lui-même nous avait habitué à des choses parfois parfaitement disgracieuses : il semble qu’il ait ici, une fois n’est pas coutume, fait amende honorable. Bien sûr, on ne saurait lui demander d’être complètement cristallin : le montage surcuté, typique de la forme du cinéaste, laisse derrière lui quelques explosions peu claires et autres fusillades inutilement tailladées. Reste que la mise en scène de Bay, qualifiée rapidement de sensorielle, trouve dans la ligne claire de son Ambulance un écrin à la hauteur de son effervescence. On a beaucoup parlé de l’usage que le cinéaste fait du drone, supposé révolutionnaire : que tout le monde se rassure bien vite, ce n’est pas le cas ; les quelques plans aériens sont agréables mais relèvent plus du détail, de l’attraction, que de la véritable science de mise en scène. En revanche, cet usage s’insère parfaitement dans une réalisation presque évanescente, et dont la caméra ne peut s’empêcher de vibrer, sinon même de tournoyer. Le tout enveloppe le film d’une atmosphère électrique et galvanisante, qui poursuit bien après l’extinction des lumières.

Il faut aussi faire cas de l’humour très efficace, jamais moqueur, savamment dosé. On s’étonnerait presque, et plusieurs fois, de se prendre à rire franchement face aux saillies lunaires d’un Jake Gyllenhaal sous acide, aux situations parfois inouïes d’absurdité jouissive. En témoigne la scène de l’opération – probable sommet du film et qu’on ne détaillera pas d’avantage ici –, où se mêlent vigoureusement la tension parfaitement tenue et l’hilarité bien sentie. Les deux scènes musicales aussi, qui étonnent à la fois par le grand n’importe quoi qu’elles incarnent et le découpage jouissif qu’elles laissent advenir. Au bout du compte, et bien qu’on fût loin de s’en douter, Ambulance fait très certainement partie des films les plus drôles de ce début d’année.

Qu’on soit clair néanmoins : pour s’adonner pleinement aux plaisirs qu’offrent cette Ambulance, il faudra passer outre nombre de crétineries, fadaises sentimentales surlignées et autres dantesques ficelles hollywoodiennes. Car en matière de dentelle, Bay ne s’y connaît pas : il lui préfère bien volontiers les gros sanglots au ralenti, les flashbacks tout de lumière blanche drapés et les retournements qu’on ne saurait rêver plus absurdes. Quant aux personnages, s’il est indéniable que le cinéaste anime très convenablement ses clichés, n’y cherchez pas une quelconque épaisseur. Danny, qu’interprète valeureusement Jake Gyllenhaal, confine à lui seul au n’importe quoi le plus assumé : d’une personnalité l’autre, d’un visage l’autre, il alterne le plus sereinement du monde entre le calme, l’outrance et la dinguerie. Tout cela fait partie de la virée, à chacun d’en accepter les atours, sinon d’en apprécier l’absurdité.

En définitive, la nouvelle mouture Bay se révèle contre toute attente particulièrement ensorcelante. A noter finalement le rôle précieux que joue dans l’expérience la salle de cinéma : on ne saurait reproduire autrement la saveur des collisions, le charme des explosions et la santé du rire qu’en partageant sur grand écran, le public attrapé, l’extase du spectacle. Pour peu qu’on se laisse avoir, que le jeu nous prenne, chacun pourra sortir de la salle, sinon remis de ses tracas, du moins bien vitaminé. De quoi s’ôter un peu de la mélancolie qui traîne parfois, et s’élancer vite, très vite, dans la course recommencée vers le bon cinéma.

7.5

Luca Mongai
Rédacteur en chef de la Cinémat'HEC pour l'année 2021-2022.

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