Cinéma

Dune – Le dormeur doit se réveiller

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Voilà donc qu’arrive sur nos écrans – et en avance des Etats Unis, c’est assez rare pour le dire – l’un des grands événements cinématographiques de l’année. Particularité de l’affaire, c’est qu’elle semble rassembler des publics a priori divers : admirateurs de la saga littéraire, cinéphiles passionnés par le projet, spectateurs simplement tentés par le dernier blockbuster, chacun paraît s’y retrouver. C’est que le projet n’est évidemment pas nouveau, et que depuis moult décennies coulent à son sujet l’encre et la pellicule. Projet que l’on dit souvent fou, car réputé inadaptable, et qui charrie derrière lui un imaginaire gorgé de tentatives ratées, avortées, toutes éminemment frustrantes, toutes devenues cultes. Le Dune d’Alejandro Jodorowsky – au sujet duquel a même été réalisé un documentaire – s’annonçait au milieu des années 70 comme un événement culturel à l’envergure jusqu’alors inégalée, avant d’imploser en vol. En 1984, c’est ensuite l’immense David Lynch qui entreprend l’adaptation du mythe de la science-fiction américaine, avec le résultat que l’on connaît : un ouvrage fouillis, quasi-incompréhensible et qui, s’il n’est pas si mauvais qu’on le dit, reste pour le moins décevant et désormais assurément kitsch. Lorsqu’en 2017, contre toute attente, le projet est relancé avec à sa tête Denis Villeneuve, tout juste sorti du très bon Blade Runner 2049, les avis expéditifs ne se font pas attendre : fossoyeur de classiques pour certains, génie de la nouvelle génération pour d’autres. Alors qu’en est-il finalement ? Toute l’étendue de cette épopée a-t-elle trouvé cinéaste à sa hauteur ? Pas sûr.

Longue introduction, hélas à l’image du film. Impossible de résumer en quelques lignes les enjeux astronomiques que Dune met en mouvement, intimes, géopolitiques, du particulier au général, avec le soin toujours de replacer l’individu dans un univers si vaste et foisonnant qu’il paraît l’absorber, l’ensevelir. Difficile, dès lors, d’adapter un tel univers, de rendre ces enjeux clairs, intelligibles et plus encore : cinématographiques. Villeneuve voulut relever le défi, force est de reconnaître que le bât blesse. La faute, d’abord, à ces (très) longues scènes d’exposition, qui n’ont proprement pas d’intérêt cinématographique, et qui vont parfois jusqu’à se résumer à des vidéos explicatives intradiégétiques passablement indigestes. La première heure du film voit défiler une horde de personnages auxquels on nous saurait gré de prestement s’attacher, sans faire pour autant le moindre effort filmique pour tisser du lien émotionnel : tout juste sont exigés CV et lettre de motivation. Hélas, ce n’est pas comme cela que le cinéma fonctionne, et les personnages, aussi brillamment costumés soient-ils, ne sauraient être émouvants s’ils manient simplement des enjeux géopolitiques au détour de dialogues platement explicatifs. Et lorsqu’ils disparaissent, comment s’émouvoir, dès lors qu’ils ne représentent que des tribus vaguement nommées, des enjeux énormes plaqués sur des visages chagrins ?

Cette écriture, explicative à outrance, condamne d’emblée le film en même temps qu’elle le permet car, comme nous l’expliquions, les enjeux sont tels que ne pas les exposer condamne cette fois le spectateur à la perdition (confère le film de Lynch). C’est que le Dune de Villeneuve s’enfonce doucement mais sûrement dans une impasse : la fidélité sans failles au livre. D’après les lecteurs de Frank Herbert – dont je ne fais hélas pas partie –, il s’agit là d’une adaptation particulièrement fidèle et respectueuse de l’ouvrage. C’est là qu’est l’os, puisque le cinéma n’est pas la littérature, et c’est heureux, car à trop vouloir respecter le matériau d’origine, on finit par en dévitaliser les pages, en assécher les singularités. En résulte une conduite narrative périlleuse. Le film peine à trouver une structure équilibrée, entre développement des personnages, relâches et accélérations, temps morts et temps forts. Les trajectoires sont poussives, les personnages se croisent et se recroisent sans que rien n’avance vraiment jusqu’à ce que, d’un coup d’un seul, se débloquent les choses dix minutes durant pour venir une nouvelle fois s’embourber ensuite. Les scènes fortes le sont parfois mais ne marquent pas durablement, les attentes sont là mais le tout ne se dévisse pas. En témoigne par exemple la gestion des vers des sables, censés être les figures impressionnantes du film, et qui le sont du moment qu’ils restent évoqués, presque cachés, jusqu’à l’apparition finale éminemment déceptive : un plan – impressionnant certes, mais déjà délivré dans la bande-annonce – et puis s’en va. En témoigne encore le manque d’un véritable climax, d’un point d’orgue marquant – à moins que l’on parle de ce mano a mano final anti-spectaculaire et presque embarrassant. Si bien qu’à la fin du voyage – qui n’est en fait que le début, comme se plaît à le rappeler Zendaya sans que personne ne s’étonne – l’impression règne d’efforts poussifs sans que rien n’arrive, de longues prémices sans extase.

Dune est dans le même temps révélateur des forces et faiblesses de la mise en scène de Villeneuve. Grand amoureux de la contemplation, Dune semble d’abord ne pas faire exception, quoique… Quoiqu’en réalité la contemplation soit ici allégrement substituée aux dialogues de circonstance, qui ne brillent pas toujours par leur inventivité visuelle. Certains moments échappent à l’illustration parfois peu inspirée, et à ce titre les Harkonnen semblent les mieux lotis : l’atmosphère ténébreuse qui règne en leur présence est très bien rendue. Mais le tout ne convainc hélas pas toujours, entre les champs-contrechamps de rigueur et les visions un poil publicitaires du jeune Chalamet. Il ressort cependant des instants visuels d’envergure, puisque là se trouve la préoccupation première du cinéaste : créer de l’image et de l’image forte. Le gigantisme de l’espace, l’immensité des plaines ensablées, des vaisseaux, des armées, donnent lieu à des scènes impressionnantes – la première incursion d’un ver des sables fournit à ce titre un moment de tension bienvenu et bien géré. S’impose de surcroît une idée de mise en scène intéressante et bien exploitée : celle d’un monde si vaste que le cadre ne peut le supporter, s’en trouve toujours débordé. Mais ce n’est qu’à ces rares moments que la mise en scène respire enfin, pas aidée d’ailleurs par la photographie grisonnante qui plonge encore un peu plus dans la torpeur. Car en définitive, Dune est un film de technicien, de costumier et d’architecte, presque de paysagiste. La conception purement technique de l’ouvrage, de son univers, est impeccable. Costumes, maquillages, décors, tout concourt à l’identité propre d’une œuvre techniquement maîtrisée. À cela s’ajoute le travail sur le son, remarquable, et qui permet d’élargir la palette d’un film qui s’avère par ailleurs si terne. Des idées sonores – la Voix, très bien exprimée –, des astuces visuelles, des transitions parfois bien choisies, qui soulèvent le film tout en nous rappelant finalement qu’il ne se résume qu’à ça : une grande usine à la façade soignée, un désert techniciste où s’est asséchée l’émotion.

Éminemment frustrant, donc. Bien des promesses, peu de concrétisation. Dune est un film assez lourd, cafouilleux, à la fois trop lent et trop rapide, et qui, s’il permettra à chacun de tester sa chaîne hifi, ne laisse rien vibrer au-delà de l’écran – hormis le fauteuil parfois. De l’ampleur, oui, mais aucune mystique. Au sortir de la salle, l’heure est aux questionnements, si ce n’est à l’amertume. Il faudra donc poursuivre ce voyage ? Suivre ces personnages dont on ne connaît pour la plupart que le nom et la profession ? Pourquoi pas, mais à condition que Villeneuve veuille bien s’extirper du livre originel, interrompre un instant sa romance techniciste pour accorder plus d’amour à ses personnages, et renouer simplement avec le cinéma. Alors, et seulement alors, la torpeur pourra s’évanouir, de sorte qu’enfin s’épanouissent l’émotion, les affects, des liens durables entre images et spectateurs qui permettent de rêver plus loin que le cadre. Car en définitive hélas, le sommeil guette, et le désintérêt pourrait aller croissant si la barre n’était pas redressée. Il y a donc bien une chose que Villeneuve aurait pu retenir de l’adaptation lynchienne, et qui pourrait le guider si d’aventure il savait l’entendre, ce mantra répété comme une incantation, une prière, une prise de conscience : le dormeur doit se réveiller.

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Luca Mongai
Rédacteur en chef de la Cinémat'HEC pour l'année 2021-2022.

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