Cinéma

Entre les vagues – La fureur de vivre

0

Quelques images suffisent à rendre compte de ce que veut dire vivre. Juste un peu. L’amitié, la réussite, la désillusion. Anaïs Volpé signe avec Entre les vagues une womance d’une audace véritable, où le destin de deux amies témoigne d’à quel point l’existence est une mosaïque de sensations, de sentiments insaisissables que seul l’art peut capter. La caméra de la jeune réalisatrice saisit, de très près, avec authenticité et sincérité, le douloureux mystère de ce flot que l’on nomme la vie, magique mais brûlante. Toujours.

A la fin de leur vingtaine, Alma et Margot rêvent encore, malgré les échecs à répétition, de devenir comédiennes. Inséparables, viscéralement liées, elles vont décrocher le rôle qu’elles voulaient toutes les deux, la seconde en doublure de la première. Elles vivotent, entre les petits boulots et les soirées embrasées, dans un Paris réel, imparfait mais sublime, dans lequel chacun tente de construire sa vie pour qu’elle soit le plus belle possible. Mais alors que tout semble aller bien, que l’espoir renaît en chacune des deux amies, une tragique révélation les plonge dans les ténèbres d’une existence qui leur échappe, une fois de plus…

Fortes et dignes face au drame, telles seront Margot et Alma – respectivement interprétées par Souheila Yacoub et Déborah Lukumuena – lorsque pénètre en elles le souffle de la mort. Brillamment retranscrit par l’écriture, parfois déraillante, d’Anaïs Volpé, l’angoisse de ces femmes-là, mêlée par bribes à l’évasion que suggère la pièce qu’elles préparent, tour à tour, est universelle. Elle vient toucher, arracher même, une corde sensible chez le spectateur. S’attaquer au réel, le prendre comme objet, naturellement, pour l’emmener ailleurs, voilà ce que parvient à faire l’autrice. Le Paris que l’on connaît – celui d’une génération désenchantée – devient le théâtre d’une lutte contre une réalité inacceptable. Car la vérité est dure, insupportable, mais il est possible, avec courage évidemment mais surtout avec l’autre, de lui faire face, d’être plus forte qu’elle et de laisser l’amour vaincre.

Cette lutte est totale, physique et mentale, et mène nos deux amies au bord de la déflagration, en permanence, jusqu’à trouver, au fond des ténèbres, l’apaisement. Mais le film n’est pas noir, il n’est même pas sombre, il est clair-obscur mais aucun monstre n’y surgit, seulement des fulgurances, des moments de vie qui invite au sourire, même quand ça va pas, même quand on n’a plus l’envie d’avancer. On assiste, de l’extérieur, à la naissance de deux grandes actrices – l’une à l’affiche du prochain Klapisch, En corps – et d’une cinéaste brillante. La grâce qui se dégage du récit et la pureté, faillible, de sa mise en forme donne un très beau film, sincère, vrai mais qui ne s’enferme pas dans un carcan naturaliste. Car Entre les vagues est une ode au rêve, à l’évasion, et son grand paradoxe – où réside sa puissance évocatrice – est la déconnexion entre la brutalité de la réalité qu’il dépeint et le souffle évanescent qui l’embaume.

La caméra tremblante, le grain authentique, la photographie splendide, tout concourt à donner au film cette saveur si particulière. Par certains côtés archétype d’un cinéma indépendant que l’on retrouve outre-Atlantique – où il se rend, par instants, délivrant des plans électriques de New York – Entre les vagues s’en éloigne également, tellement empreint dans son ancrage dans l’ici et maintenant, dans les drames de vies parisiennes des années 2020, désillusionnées, effritées. Les protagonistes, plongées dans des enjeux qu’elles ne veulent plus comprendre, aspirent simplement à vivre, à aimer – on notera la performance de Matthieu Longatte, à contre-emploi, dans une douce sobriété – à rendre les leurs fiers. Anaïs Volpé délivre une peinture de ces angoisses existentielles, de ces combats contre la fatalité avec une justesse et une audace qui ne peuvent laisser indifférent celui qui la contemplera.

Film d’une désinvolte contemporanéité, le dernier long-métrage d’Anaïs Volpé, réalisatrice autodidacte, rend grâce aux galères de la jeunesse d’aujourd’hui, submergée par la douleur et le malheur. Ces mots génériques, qui recouvrent tant de sentiments épars, sont les seuls qui viennent, tant les images fusent, les souvenirs aussi, rendant caduque toute tentative d’acuité ou de précision. Dignes, Margot et Alma resteront ensemble, dans le rire et les larmes, jusqu’au bout et même après, sur leur scène incandescente.

9

La Souriante Madame Beudet – Âme au foyer

Previous article

De nos frères blessés – L’honneur d’un peuple

Next article

Comments

Comments are closed.

Login/Sign up