Cinéma

Le Goût de la Cerise – طعم و مزه سینما

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Chaque film porte en lui quelque chose de miraculeux. Les circonstances qui le portent et le conduisent à être le sont. Chaque film est un croisement, un assemblage de fragments éparpillés qui tous ensemble réunis trouvent une cohérence. Pensez donc, Le Goût de la Cerise est essentiellement l’histoire de trois rencontres, dans une voiture. Et pourtant jamais les personnages ne se sont rencontrés. Le miracle de la caméra réunit ceux qui ne se sont jamais parlés. Un champ-contrechamp et le tour est joué, affolante simplicité.

Pour l’œil distrait, Le Goût de la Cerise pourrait ainsi passer pour un film étudiant, tant il est dénué d’artifices. Si peu de musique, si peu de mouvements de caméra, mais de l’authenticité, de la vérité. Contrairement à tant et tant d’œuvres, il ne vise aucun salut cathartique, ni l’effusion superficielle d’une sensibilité jouée. Le Goût de la Cerise a au contraire, la profondeur des réflexions graves qui le parcourent.
Homayun Ershadi, alias Monsieur Badii, campe l’énigme d’un homme triste errant sur les hauteurs de Téhéran à la recherche de celui qui voudra bien l’enterrer après son suicide. Aussi sinistre que puisse paraître un tel parcours, il croise sur son chemin ce qui fait le goût des choses, la sensibilité de la vie, tant et si bien que Le Goût de la Cerise n’a rien d’un drame austère. Miracle encore de la vision du réalisateur, Abbas Kiarostami, et de la touchante authenticité des acteurs amateurs qui jouent les personnages secondaires avec une conviction confondante.

Mais Le Goût de la Cerise n’est pas seulement le miracle de la sensibilité de ceux qui l’ont fait. Il ose se confronter à la diversité du monde et des hommes.
Monsieur Badii rencontre un jeune kurde à l’âge du service militaire, un séminariste afghan fuyant la guerre et un taxidermiste azéri, comme tant de regards et d’expériences de vie différentes. Il ose se confronter à ce qui n’est pas seulement un tabou comme partout ailleurs, mais un crime en République islamique, parce que, comme le séminariste ne manque pas de le relever, se tuer, c’est tuer.
Mais ce réalisme implacable pèse bien peu en comparaison des symboles qui jalonnent le film. Au travers de ses personnages, Kiarostami nous confronte à ce qui nous oppose au suicide, la peur, la réaction morale et un certain attachement aux détails de l’existence. De cette réflexion naît la faiblesse du personnage principal et avec elle celle du spectateur.
Miracle donc de la faiblesse et du courage de tous les hommes face aux questions existentielles.

Alors, dans la mesure où Le Goût de la Cerise se fait le miroir de nos interrogations, il nous questionne quant à ce qu’est une démarche de cinéma. Monsieur Badii porte en lui une part de Kiarostami, qui a lui-même sillonné les hauteurs de Téhéran à la recherche de celui qui l’enterrerait, accompagné de son fils, en préparation du film. Cinéma naturaliste dont la voix porte au-delà des frontières terrestres pour s’adresser à chacun.
Kiarostami, en dépit du désamour que lui ont porté un certain nombre de ses compatriotes, n’a ainsi jamais voulu quitter l’Iran, peut-être parce qu’il a perçu que pour rendre son message universel, il n’avait nul besoin de s’expatrier.

Dans cette mesure, recevoir la palme d’or du Festival de Cannes 1997, aux côtés de L’Anguille de Shohei Imamura, peut sembler assez anecdotique. Mais c’est bien là la manifestation de ce que peut être le cinéma dans ce qu’il a de meilleur, aux confins de la poésie et de la beauté simple. L’occasion aussi de rappeler que dans cette grand-messe du cinéma d’auteur, Cannes a pour vocation de se faire le porte-voix d’un cinéma discret mais essentiel.

Le Goût de la Cerise nous invite donc à méditer sur ce que peut être le goût du cinéma. Cinéma qui ne prétend pas faire disparaître les affres de l’existence, mais qui change le regard de celui qui ose s’y confronter. À son retour de Cannes, Kiarostami a été conspué à l’aéroport de Téhéran parce qu’il avait osé rendre à Catherine Deneuve la bise qu’elle lui avait faite lors de la remise de la prestigieuse palme. Qui sait si, à ce moment-là, le goût du cinéma l’a aidé ?

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