Cinéma

Les Intranquilles — Il n’y a pas d’amour heureux

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L’atmosphère particulière de la salle de cinéma dispose du pouvoir rare mais redoutable de plonger le spectateur, les spectateurs, dans une étrange quiétude. Quiétude qui, si le film s’avère incapable de procurer les émotions propres à la contemplation d’une œuvre puissante, se transforme en une torpeur malheureuse. Mais il est temps de vous rassurer : Les Intranquilles n’est pas de ceux-là et ce qu’est parvenu à dépeindre avec justesse et humilité Joachim Lafosse pour son neuvième long métrage captive et détone. Ne cédant jamais au dolorisme convenu, le réalisateur belge offre simplement à voir un constat terrible et profond : il n’y a pas plus rude épreuve que le sentiment amoureux.

Respectivement artiste-peintre et menuisière, Damien et Leïla vivent d’apparence en paix avec leur jeune garçon dans une jolie propriété à la campagne. Si l’on s’arrête là et que l’on ne s’attarde pas plus sur leur situation, il faut reconnaître que leur histoire semble tout à fait banale et peu à même de bâtir une intrigue solide. Mais Joachim Lafosse décide d’aller plus loin et de nous emmener avec lui. C’est alors progressivement mais avec une brutalité et une force évocatrice rare que nous découvrons la réelle tension qui ronge une passion indéfectible entre les protagonistes. Sujet à des troubles psychotiques et névrotiques – subtilement installés dans le récit – Damien perd le contrôle de lui-même à intervalles réguliers et mène la vie dure à sa compagne, qui n’aspire plus qu’à la sérénité que promet la vie qu’elle a choisie. Il ne leur reste plus qu’à lutter, à ne rien céder pour tenter de sauver un amour qui s’use inexorablement et qui les dévore, eux, mais aussi leur fils…

Le cinéaste belge nous offre à voir cette tranche de vie, ces moments d’une beauté simple avec un brio tel qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible, de rester insensible au destin de ces trois personnages, qui s’annonce pour le moins chaotique. Le rythme lancinant, entrecoupé d’instants d’une intensité rare, contribue à parfaire l’œuvre de Lafosse qui laisse ses comédiens prendre le dessus sur un quelconque artifice de mise en scène : en d’autres termes, il se met au service de Leïla Bekhti et Damien Bonnard. Et ce choix s’avère payant puisque les deux, dans des registres différents, brillent de justesse et saisissent l’étincelle qui rend vrai ce qui ne sont que des images projetées dans une salle obscure. Là réside la force des Intranquilles : l’on y croit, et puisque l’on y croit, l’on est emporté.

L’enfer que vit ce couple en permanence au bord du précipice, où seul l’amour subsiste, le vrai, le véritable, celui qui s’accompagne d’une force de résistance suffisante pour affronter une réalité intenable, transpire à travers la caméra du réalisateur bruxellois. Adoptant volontairement une approche naturaliste bienvenue de l’histoire tourmentée de nos protagonistes, il conçoit une œuvre parfois asphyxiante tant elle plonge le spectateur dans les affres de la vie conjugale, réveillant les affects enfouis qui sommeillent en chacun ayant pu en faire l’expérience. Le récit se trouve alors être le théâtre de brefs moments suspendus, où la chute inarrêtable du personnage de Damien échappe à notre esprit pour laisser place à la jouissance pure et simple des petits moments de la vie des amoureux. Les deux scènes où la musique devient reine en sont le parfait exemple, où Idées noires de Bernard Lavilliers et Mes amours de Jean Ferrat sont à l’honneur, rompant, à des moments bien différents du métrage, l’atmosphère particulière qu’a réussi à instaurer Joachim Lafosse.

Les Intranquilles est tout simplement un beau film. C’est sans doute benoîtement dit mais il n’y a pas plus intelligente manière de le caractériser. La posture amère qui consisterait à s’étendre prolixement sur ce qui fait du long métrage un bon film ou non est inappropriée face à une proposition de cette nature, dure certes mais cruellement juste. Justesse à travers laquelle jaillit le fondement d’une œuvre réussie : l’émotion. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, être pris, être saisi par le film, en ressortir éprouvé et marqué, ou pour reprendre les termes de son auteur avant la projection, avoir fait une rencontre. Qu’importe si cette rencontre ne débouche, pour reprendre une pénultième fois les mots d’Aragon, que sur un amour malheureux.

« Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé »

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