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On the rocks – Plaisante anecdote

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Scorsese, Fincher, Frères Coen et d’autres : nombreux sont les auteurs de renom qui rejoignent aujourd’hui – par envie ou dépit – les rangs des plateformes de streaming type Netflix. Vient cette année le tour de Sofia Coppola, qui collabore ici avec Apple pour son nouvel ouvrage. L’occasion de retrouvailles avec Bill Murray – quelques dix-sept années après Lost in Translation –, mais aussi d’une collaboration avec Rashida Jones, alter ego de la cinéaste dans son film. On the rocks témoigne d’une légèreté peu commune chez Sofia Coppola, en ce sens que le film ne se veut rien d’autre qu’une comédie de mœurs amusante, agréable sur le moment mais qui laisse peu de traces.

           L’histoire est simple et prête a priori à sourire. Laura, mère au foyer à la fois débordée et lassée par son quotidien, soupçonne son mari d’avoir une liaison avec sa nouvelle secrétaire « aux longues jambes ».  Soupçons qu’elle décide de confier à son père, Felix, dragueur invétéré et inlassable, qui lui propose alors de mener l’enquête. Après tout, s’il y a bien quelqu’un qui maîtrise au cordeau les astuces du mari infidèle, c’est bien ce père qui toute sa vie a trompé les femmes qu’il aimait, y compris la mère de Laura. Nous voici alors embarqués, personnages et spectateurs, dans cette plaisante investigation, à la recherche d’une preuve qui mettrait en évidence la tromperie. Le scénario, s’il n’est ni original ni véritablement surprenant, se laisse suivre sans encombre et promet quelques rires francs, le flegme de Bill Murray aidant grandement.

           Coppola approfondit par instants ses personnages, leur accorde quelques respirations mélancoliques au cœur de cette enquête chaotique. En témoigne une courte scène à première vue anodine, durant laquelle le personnage incarné par Bill Murray, après avoir déposé sa fille chez elle, rentre chez lui, avec pour unique compagnie son chauffeur, la ville et Schubert : goujat certes, mais au bout du compte seul. Caractérisation simple mais qui, si l’on y prête attention, densifie le personnage. Rashida Jones a également droit à ses moments de subtilité, lorsque par exemple le doute la ronge et qu’elle retient ses larmes, au son délicieusement triste du I get along without you very well de Chet Baker. Ces instants demeurent toutefois trop rares, le film versant plus volontiers dans la comédie légère que dans le développement des personnages qu’il met en scène. Et lorsque la cinéaste accepte de dessiner plus précisément la relation qui noue père et fille, le trait n’est pas toujours très fin. Si cette relation reste globalement charmante, elle suit les lignes du récit hollywoodien classique, avec remises en cause et réconciliations de circonstance.

           Mais ce qui véritablement fait le sel du film, c’est le duo d’acteurs. La caméra n’est véritablement là que pour les servir. Pas d’artifices visuels, de mouvements trop complexes. Rien que des plans simples et fixes pour la plupart – scènes de course-poursuite exceptées – presque figés, dans la lignée du style de Sofia Coppola : visuel élégant mais presque glacé, qui fige l’action pour fixer l’ennui et la mélancolie de ses personnages. Or les deux acteurs sont parfaits dans ces rôles à demi-mélancoliques. Le talent de Bill Murray n’est plus à souligner, mais il brille une nouvelle fois par son indolence et sa malice, qui permettent d’accorder au personnage une réelle sympathie, jusqu’à de la tendresse parfois. Rashida Jones ravit également dans son rôle de femme lassée, avançant tant bien que mal, mais dont le regard semble toujours en bordure de la tristesse. Ensemble ils forment un vrai duo de cinéma, tour à tour complices et désabusés.

           Il reste néanmoins que si Sofia Coppola tient bien sa ligne comique, elle ne promet rien d’autre derrière. Celle qui nous avait habitué à scruter les troubles de l’adolescence – superbe Virgin Suicides –, à faire poindre la mélancolie jusque dans les rues bondées de Tokyo – non moins superbe Lost in Translation –, ne nous offre ici rien de plus qu’un film mineur en forme de bulle de champagne. La cinéaste perd en ambition et se contente de la bluette facile, charmante mais rapidement oubliée, évidemment agréable mais tout à fait anecdotique. Rien de déshonorant bien sûr, mais ce que l’on retient finalement de cet On the rocks, c’est qu’il n’y a pas grand-chose à en retenir. Ici dépourvue d’ambition, espérons que Sofia Coppola nous revienne comme autrefois, avec la force de sa mise en scène et la justesse de son regard. 

Disponible sur Apple TV+.

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Luca Mongai
Rédacteur en chef de la Cinémat'HEC pour l'année 2021-2022.

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