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Prima della rivoluzione : portrait d’un jeune homme révolté

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L’œuvre cinématographique, comme toute œuvre par ailleurs, ne peut se concevoir indépendamment de son auteur et du contexte socio-historique qui entoure la création artistique. Lorsque Prima della rivoluzione, deuxième long-métrage de Bernardo Bertolucci, sort dans les salles obscures italiennes au printemps 1964, une certaine approche du politique commence à prendre racine dans la conscience de la jeunesse de l’époque. Alors véritable précurseur des mouvements sociaux qui émailleront le monde occidental quatre ans plus tard – année durant laquelle le film sort en France – l’œuvre du réalisateur italien, si elle reste imparfaite, traduit l’insouciance et la volonté de s’engager de son auteur, virant même à certains moments dans une démarche autobiographique et dépeignant plutôt fidèlement les errances d’un jeune homme des sixties.

La douceur de vivre du Parme bourgeois des années 60. Voilà ce à quoi Fabrizio veut à tout prix échapper. Fils d’une famille aisée, pour ne pas dire riche, de la région, il se voit promis à un avenir tout tracé au sein de cette bourgeoisie qu’il abhorre tant. En effet, sous le regard bienveillant de son professeur Cesare, qui lui ouvre des perspectives neuves, le jeune homme se laisse séduire par l’idéologie marxiste, et fait naître ainsi chez un de ses amis l’envie de le rejoindre dans sa lutte. Le communisme rencontre alors un franc succès dans la jeunesse occidentale, bourgeoise ou non, et Fabrizio ne veut pas rater le train : il a pour ambition de faire la révolution. Mais l’arrivée de sa tante Gina, dont il va lascivement tomber amoureux, va rebattre les cartes et bousculer la vie du jeune activiste…

Fabrizio, c’est aussi Bernardo. Le réalisateur, âgé de seulement 23 ans à la sortie du film, laisse transparaître dans Prima della rivoluzione des éléments autobiographiques. Lui aussi se rêve comme défenseur de la cause des prolétaires alors qu’il n’appartient pas à la classe des opprimés et fait de Fabrizio son reflet cinématographique. Grâce à sa verve caractéristique – qu’il conservera tout au long de sa riche carrière – Bertolucci exprime sans ambages ses idées politiques, sa radicalité et sa volonté de casser les codes sociaux alors fortement ancrés dans la société italienne catholique. Le scénario, légèrement décousu, donne à voir des thèmes qui deviendront centraux lors des revendications de la jeunesse de 1968 en France : libération sexuelle, refus de toute autorité, recherche d’un nouvel idéal, d’un monde plus juste. Le réalisateur, accompagné de Gianni Amico, appuie cela grâce à des dialogues finement travaillés, qui rendent hommage à de nombreuses figures de cet iconoclasme grandissant, à l’instar de Jean-Luc Godard. Bertolucci-Fabrizio devient alors l’incarnation de cette jeunesse révoltée qui s’insurge contre l’ordre établi, et l’essentiel du propos du film repose là-dessus.

Toutefois, il ne faut pas réduire le métrage du cinéaste italien à un simple brûlot révolutionnaire. D’abord car il nous permet aussi de s’intéresser aux questions de l’amour interdit, de la fatalité et de l’inévitabilité du conformisme. Mais surtout parce qu’il se veut la première véritable œuvre d’un réalisateur majeur du cinéma italien de la fin du XXème siècle et du début de XXIème. Une œuvre qui peut servir de codex pour comprendre la filmographie postérieure de Bertolucci. Au niveau des sujets qui lui tiennent à cœur, mais aussi au niveau de ses ressorts filmiques. La liberté créatrice qui émane du long-métrage, tant par les plans originaux et la mise en scène virevoltante que par la direction d’acteur et la mise en forme d’un scénario finalement assez léger. Adriana Asti et Francisco Barilli incarnent des personnages parfois caricaturaux que propose Bertolucci et Amico, et si leur jeu s’inscrit aisément dans le moule de l’époque, il n’en reste pas moins suffisamment juste pour donner corps aux deux protagonistes principaux. Les seconds rôles sont également plutôt bien travaillés, mais restent délaissés, limités à leurs dimensions fonctionnelles, non pas pour l’avancement de l’intrigue, mais pour servir le message que veut délivrer le metteur en scène. La bande originale, délivrée par l’inimitable Ennio Morricone, constitue quant à elle un point intéressant de la réalisation de Prima della rivoluzione.

Le film de Bernardo Bertolucci est donc une formidable porte d’accès à cette époque, pour nous lointaine, mais dont les revendications font encore écho, subrepticement, à celles de la jeunesse d’aujourd’hui. Porte-étendard des luttes libertaires et égalitaires, aussi bien sur le plan public que privé, Prima della rivoluzione est un symbole avant tout. C’est le symbole d’une avant-garde artistique et politique tout autant que celui d’une génération en perte de repère qui cherche à réinventer le monde qui l’entoure. Ce n’est sans doute pas l’œuvre la plus aboutie de son auteur, mais elle aura le mérite de réveiller le côté anticonformiste qui sommeille en chacun de nous.

 

Disponible sur Prime Vidéo.

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