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Soutenir la légèreté de l’être

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Voilà des mots qui doivent paraître bien étranges à notre personnage principal. La légèreté, Antoinette l’embrasse spontanément et c’est tout naturellement, sans complexe, qu’elle assume son libertinage. Entendons-nous, l’usage de ce concept ici n’est pas dégradant. C’est la manifestation la plus pure d’un rejet des contraintes morales portées par la société, de la même façon que l’on qualifiait l’œuvre de Molière libertine.

 

Libérée d’une bonne conscience commune auto-proclamée, Antoinette vit sans mauvaises pensées son histoire avec Vladimir, père d’une de ses élèves de primaire. Lorsque celui-ci lui annonce qu’il part une semaine dans les Cévennes suivre le chemin de Stevenson, elle ne supporte pas l’idée de passer tout ce temps sans lui et décide de le rejoindre secrètement pour cette aventure pédestre. Profondément citadine, elle s’engage alors dans le parcours classique du personnage générique de comédie placé dans un environnement lui étant totalement étranger (parcours usé à la corde, pour le meilleur, merci OSS 117, et pour le pire, non merci Danny Boon). La bande-annonce elle-même sous-estime le film et l’enferme dans ces ressorts convenus : un comique de situation potache et bien gras sur l’adultère.

 

On pourrait croire que le film pâtirait de telles casseroles pour réussir à nous convaincre. Pourtant, il arrive presque à en faire une force, jouant habilement avec les codes de la comédie pour mieux nous surprendre, à la fois par ses subtilités d’écriture et la maturité apportée au sujet, celles-là servant bien évidemment cette dernière. Cette habileté se remarque très vite dans les dialogues, jouant avec malice de la force du non-dit pour souligner toute la complicité ou au contraire la véritable antinomie qui lie deux personnages. Quand Antoinette se présente auprès des autres hôtes de son gîte, la façon avec laquelle Caroline Vignal dit et montre le tabou, fantasme pour certains, que constitue l’adultère dans notre société est véritablement exaltante. De même, on prend un malin plaisir à voir Antoinette remettre en place ses prétendants les plus maladroits. Là où les hommes voient en la femme adultère une femme facile, Antoinette rappelle qu’elle est surtout une femme libre.

 

Ici l’écriture se place au service du propos mature que tente de dessiner Caroline Vignal, dont c’est le premier film depuis 20 ans. Après un premier film sur l’adolescence féminine avec Les autres filles, la réalisatrice revient derrière la caméra pour permettre au regard féminin, dont parle Iris Brey dans son lire éponyme, de pleinement se déployer dans une industrie si masculine. Ce regard, c’est celui qui fait de la femme non pas un objet désirable par les hommes (que ce soit les personnages ou le public) mais bien un sujet maître de lui-même, une démarche décidément trop rare dans le cinéma français. Si l’on est très vite tenté de rapprocher le personnage d’Antoinette de celui de Noémie dans la série Dix pour cent, tous deux campés par Laure Calamy, ce regard féminin est justement ce qui les distingue. Là où Noémie nous est présentée comme l’assistante désirable qui n’a d’intérêt que tant que Matthias trouve en elle un refuge (même si cela a tendance à évoluer à mesure que la série avance), Antoinette existe sans Vladimir et aussi amoureuse qu’elle puisse être, à aucun moment elle n’est présentée comme un simple objet de désir. Elle est le sujet de l’action et Vladimir n’est qu’une péripétie dans son existence. A cet égard, la relation très étroite qu’elle développe avec son âne est révélatrice d’une leçon d’humilité destinée à la gente masculine : messieurs, vous n’êtes pas indispensables.

 

Cette maturité, aussi légitime puisse-t-elle être, avait besoin d’une incarnation la plus juste possible pour faire mouche. On ne peut alors que saluer le choix de Laure Calamy pour interpréter Antoinette. Maîtrisant le registre populaire tout en pouvant tirer vers un répertoire plus soutenu, elle n’est pas marquée socialement dans son jeu (ce qui est moins le cas d’Isabelle Huppert, c’est d’ailleurs sur ses marqueurs sociaux que joue La daronne avec plus ou moins de réussite). Si elle joue ici l’institutrice, elle parle autant aux maîtresses de petites écoles de banlieue ou de campagne qu’aux enseignantes citadines. Le message est simple : la liberté d’Antoinette n’est pas celle des citadines ou des femmes riches, elle est universelle.

 

On aurait également pu noter la beauté des paysages quasi primitifs des Cévennes, la composition musicale ou encore la prouesse de tourner un film reposant essentiellement sur l’interaction entre l’actrice principale et un âne. Cependant la véritable prouesse du film réside dans la prise au sérieux de son personnage et de son sujet. Rire au cinéma c’est bien, changer le cinéma par le rire c’est mieux.

8

Baptiste Gaudeau
Président de Making-Of pour l'année 2020-2021.

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