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The Wire – Way down in the hole

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Alors que les élections américaines se profilent – avec leur lot quotidien de polémiques ininterrompues, de débats criards, de fractures toujours ouvertes -, et maintenant que le couvre-feu vous laissera tout le temps nécessaire pour vous plonger dans une nouvelle série, quel meilleur choix que ce monument qu’est The Wire ? Régulièrement citée comme l’une des plus grandes séries de l’histoire, The Wire réussit l’exploit de recouvrir toutes les facettes de la société américaine, tout en scrutant avec justesse et précision la misère à la fois sociale et existentielle de l’homme.

 

         Mais revenons en 2002. Dix ans après la révolution que fut Twin Peaks, série créée par David Lynch et Mark Frost, la télévision se révèle progressivement comme un lieu propice à la création artistique, et la chaîne HBO est en pointe : Oz, Six Feet Under, Les Soprano, autant de séries qui participèrent à redorer le blason du petit écran. C’est alors qu’est proposé à la chaîne un nouveau projet : The Wire, récit de la guerre contre la drogue dans les rues de Baltimore, prenant tout à la fois le point de vue de la police et des gangsters. Mais les dirigeants hésitent, d’abord parce qu’HBO souhaite s’éloigner de la série policière (en vogue dans les années 80 et 90), mais également parce qu’en 2002, la société américaine est en pleine recomposition après avoir été frappée dans sa chair par les attentats du 11 septembre. Or ce qui est proposé par David Simon et son acolyte Ed Burns n’apparaît pas tendre avec cette société, les créateurs misant au contraire sur un réalisme cru et sans concession. Convaincue par le script de la première saison, la chaîne met en marche la série qui, bien qu’elle ne connut pas un succès public immédiat, s’est depuis imposée comme une référence.

         Le récit de The Wire s’établit donc à Baltimore, qui n’est a priori pas la ville la plus sexy des Etats-Unis et le sera encore moins après avoir fini la série. L’on y suit le combat âpre mené par la police contre les multiples gangs qui déversent la drogue dans les rues, comme le sang coule dans les veines. Un gang en particulier attire l’attention, celui des Barksdale, dirigé par Avon Barksdale et son bras-droit Stringer Bell (l’éblouissant Idriss Elba). Récit à première vue très simple, mais c’est la manière dont il est construit qui impressionne. Chaque saison ajoute à la précédente une nouvelle dimension, une couche supplémentaire qui vient nourrir une fresque toujours plus foisonnante : à la guerre contre la drogue vient s’ajouter la misère sociale et les troubles du syndicalisme, l’impéritie du monde politique, la faillite du système éducatif, le sensationnalisme des médias. Car dans The Wire, tout n’est qu’affaire de liens, de connexions. Des scènes, des répliques se répondent, les saisons communiquent entre elles. Aucun système n’est intrinsèquement mauvais ou corrompu, tous sont simplement soumis à une pression que chacun impose à l’autre. It’s all in the game, comme le répètent régulièrement différents personnages. Et pendant ce temps, la tragédie s’opère et les drames chaque jour se perpétuent.

         Cette structure a priori très théorique et parfaitement rigoureuse ne manque pas pour autant d’humanité, car le plus marquant peut-être reste cette galerie exceptionnelle de personnages passionnants. Chaque protagoniste – jusqu’au plus anodin – a droit à une écriture riche et soignée, dessinant des trajectoires d’une impressionnante cohérence, souvent tragiques, toujours justes. Suivre le détective McNulty, se perdre avec lui dans la nuit des rues, se laisser envahir par ses démons, se saouler à l’occasion avec son fidèle compagnon Bunk. Suivre également Omar Little, figure mythique qui vaut à elle seule le visionnage de la série, s’en tenir à son code moral et comprendre sa vision du monde. Et que dire de Bubbles ? Pauvre junkie qui trace sa route entre la drogue et la mort, toujours sur un fil, qui tantôt s’épuise, tantôt s’écroule, mais toujours espère. Sans parler du clan Barksdale et de son lot de personnages étourdissants – Stringer Bell en tête, icône du It’s just business.

         La série aboutit ainsi régulièrement sur des sommets de tension et d’émotions. Angoisse, rires et larmes, rien ne nous est épargné, car il nous appartient aussi, au fil de ces soixante heures, de prendre part à cette comédie humaine éternellement réinterprétée. Soixante heures et pourtant pas une scène qui ne soit remarquablement écrite, mise en scène et interprétée. Baltimore vibre, étouffe, palpite, et nous avec. Œuvre prodige à la fois intensément réaliste et peuplée de figures mythiques, The Wire s’envole haut, très haut et y demeure. La référence, la perfection, qui sut une nouvelle fois réconcilier petit et grand écran. Amateurs de fresques sociales ou de drames intimes, passionnés de récits shakespeariens ou d’intrigues policières, The Wire est un monument télévisuel qui saura tantôt vous fasciner, tantôt vous ébranler, toujours vous combler. Il s’adresse en effet à tous, à ceux qui subissent, qui dirigent, qui se débattent, à tous ceux qui avancent tant bien que mal dans un monde parfois – souvent – à la dérive. And we keep on movin’… on a fast train.

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Luca Mongai
Rédacteur en chef de la Cinémat'HEC pour l'année 2021-2022.

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    1 Comment

    1. Excellente série et bon article

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