Cinéma

Don’t Look Up : une simple comète

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Alerte spoilers.

Le 24 décembre dernier sortait exclusivement sur Netflix Don’t Look Up, qui est devenu en un mois le deuxième film le plus vu dans l’histoire de la plateforme avec 360 millions d’heures de streaming, juste derrière Red Notice, paru un mois plus tôt, qui avait déjà connu un succès phénoménal sur le site américain. Au-delà des chiffres, le film a beaucoup fait parler de lui, d’une part car de multiples acteurs accomplis se partagent la tête d’affiche (DiCaprio, Jennifer Lawrence, Cate Blanchett, Jonah Hill, Thimothée Chalamet, ainsi qu’Ariana Grande, Kid Cudi, Ron Perlman et Tyler Perry dans une moindre mesure), mais aussi car il se veut porteur d’une critique acerbe à l’égard des sphères financières et politiques concernant la priorité qu’ils accordent à leurs intérêts, et le manque d’écoute dont ils font preuve envers la communauté scientifique.

 Ce message a eu une certaine résonnance, du côté du grand public, et surtout au sein des scientifiques, des climatologues, qui saluent ce film malgré son large aspect satirique, car il dépeint des situations qui se rapprochent grandement de ce qu’ils expérimentent dans le traitement public de leurs découvertes/déclarations, entre le manque de réponse et l’inactivité d’une grande partie de l’humanité face à, notamment, la crise climatique.  

C’est d’ailleurs de cette manière-là qu’Adam McKay présentait Don’t Look Up il y a de cela déjà 4 ans, à l’occasion la sortie de Vice (2018) : «  The Big Short et Vice sont les deux premiers volets de ma trilogie “What-the-holy-hell-is-going-on” . Le troisième portera sur le réchauffement climatique. »

Comme le souligne Valérie Masson-Delmotte, climatologue française, les différences entre la percussion de la terre par un astéroïde et le réchauffement climatique sont toutefois extrêmement importantes. La métaphore est donc assez limitée : l’humanité a certes les moyens d’agir face à cet astéroïde, mais ponctuellement (les civils sont assez impuissants), tandis que le réchauffement climatique est un phénomène anthropique, lent et de progression inégale, dont l’endiguement nécessite l’effort de tous.

Cependant, c’est aussi ce qui fait la « force » du film : on peut y lire beaucoup de choses, et mettre ce qu’on veut derrière cette comète. Au même titre que dans le (pour le coup) excellent The Big Short –  où l’ensemble des dérives de la sphère financières sont mises en exergues à travers le cas symptomatique de la crise de 2008 – c’est ici quelque chose de plus large que le scepticisme à l’égard de la communauté scientifique que McKay souligne et tourne en dérision. Entre autres, l’avidité des multimilliardaires qui prétendent vouloir sauver l’humanité, la prolifération des fake news (ou plutôt infox), l’incompétence des médias à relayer en priorité les sujets cruciaux, du fait de l’appétence du grand public pour l’immédiateté – ou pire, pour le sensationnel (cf. la relation entre Kid Cudi et Ariana Grande qui monopolise les ondes et l’intérêt des médias dans le film). Et cela alors que l’humanité tout entière est finalement éradiquée après six mois d’inaction, hormis un groupe de notables qui – comme le laisse deviner la dernière scène – ne vont pas faire long feu sur la nouvelle planète qu’ils ont découverte.

Il faut dire que le film ne se cache pas derrière des métaphores trop opaques : difficile de ne pas reconnaître un mélange de Musk, Zuckerberg, Bezos et Tim Cook (ou Steve Jobs) dans l’inquiétant multimilliardaire Mark Rylance. De même, la situation des deux scientifiques incarnés par DiCaprio et Lawrence, en conflit quasi ouvert avec le gouvernement (pendant une partie du film), nous rappelle étrangement celle du Dr. Anthony Fauci au début de la crise sanitaire, où il devait gérer le discours contradictoire de Trump en plus de cette crise inattendue.

Dans ce film catastrophe très atypique, loin des 2012 et Le Jour d’Après, on peut tout de même souligner les belles et impressionnantes images de la comète au moment où elle détruit la terre : elles n’ont pas grand-chose à envier aux deux films susnommés, et sont assez rafraichissantes dans cette fin de film dont on ne sait quoi penser. Car Don’t Look Up souffre par ailleurs de quelques lacunes.

Au premier rang desquelles, la grossièreté des personnages, qui est à mon sens de trop. Le manque de finesse des personnages de la présidente et de son fils, mais aussi des présentateurs télés, fait basculer le film dans le gag absurde. On n’y croit plus. On ne peut concevoir que des êtres humains soient aussi caricaturaux, et ce malgré le comportement souvent enfantin du prédécesseur de Joe Biden, mais aussi de bien d’autres politiques. McKay semble vouloir faire du burlesque et du crédible en même temps, et on ne sait donc pas vraiment sur quel pied danser, ni comment approcher le film. Si l’on est plus tellement choqués par les absurdités trumpistes que les médias ont exposées ces dernières années, les voir dépeintes au cinéma à travers le comportement de la présidente et de son fils (Jonah Hill est par ailleurs hilarant dans son rôle de parfait connard) rappelle automatiquement des personnages évoluant dans des gags basiques et sans subtilité, comme dans un vieux cartoon. Cela a été un énorme frein à mon appréciation du film. 

Je dois dire que le début était pourtant très prenant : outre le casting cinq étoiles et la maîtrise du réalisateur, les premières minutes sont très aguicheuses – une découverte primordiale, qui concerne l’humanité tout entière, des personnages à première vue intéressants, complexes – cela laissait présager un bon film catastrophe. Mais tout est trop prévisible : les deux (trois ?) protagonistes se heurtent à un public qui ne veut les écouter, certes, et cela est plutôt bien amené dans le premier tiers, au point de choquer. Mais cela devient à mon sens redondant dans le deuxième tiers, le film stagne complètement pendant une longue période, sans nouvelles problématiques réelles ou éléments de résolution, en arrivant même à se perdre par moments.   

Reste une satire sociale plus ou moins efficace, avec de grands acteurs, devant laquelle j’ai donc passé un moment pas complètement désagréable, mais que je n’irais ni déconseiller ni recommander particulièrement. Il me semble en réalité qu’il aurait pu être bien plus grinçant, plus amusant, plus percutant ou plus riche.

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