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Amélie Poulain, retour sur un fabuleux classique

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Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, un hymne aux petits plaisirs de la vie

Si certains trouvent sans doute ce long-métrage naïf, voire enfantin, je soutiens pour ma part qu’il s’agit d’abord d’une œuvre éminemment poétique. La naïveté qu’on pourrait lui reprocher constitue sa force même, cet élan de fantaisie qui invite au rêve et à l’idéalisme. Le fabuleux destin d’Amélie Poulain est une forme d’ode à la douceur de vivre, un hymne aux petits plaisirs qu’on néglige trop souvent, une comptine pour les grands enfants qui auraient oublié comment rêver.

 

Paris n’a jamais été aussi belle que sous ce soleil caressant, toujours de sortie, avec ses couleurs saturées, accompagnée de la musique romanesque de Yann Tiersen, rappelant à la fois aux yeux et aux oreilles l’univers de la fête foraine. La luminosité jaunâtre qui agrémente chaque plan s’apparente aux cartes postales des étés d’enfance, décolorées par les rayons du soleil et par le temps, projetant ainsi à l’écran un faisceau de nostalgie. Filmé à travers les yeux d’une grande enfant, la vie est comme filtrée pour ne laisser apparaître que les scènes parisiennes les plus romantiques, les paroles les plus délicieusement excentriques, les détails les plus loufoques. Les contrastes sont aiguisés (Nino, le jeune ingénu, travaille dans un sex shop par exemple), l’humour baroque, les péripéties farfelues (l’élément central du scénario se résume à l’égarement d’une collection de clichés ratés pris au photomaton tout de même), et il arrive que le troisième mur soit brisé lors d’apartés comiques qui sont autant de clins d’œil au spectateur. Le style propre de Jean-Pierre Jeunet donne lieu à un rendu tout aussi drôle que touchant, et somme toute, très juste.

Ne dit-on pas que l’art est un médium par lequel l’auteur de l’œuvre permet au spectateur de changer sa vision du monde ? Il me semble que des films comme Le fabuleux destin d’Amélie Poulain sont une illustration concrète d’une telle théorie. Plutôt qu’un changement de vision il s’agirait plutôt d’un retour en arrière, du rappel d’une vision que nous aurions laissée dans l’oubli dans les archives de nos mémoires : le temps d’un instant, 129 minutes pour être exacte, ce regard que nous avions sur la vie à un autre temps refait surface et la vie prend une allure de simplicité déroutante. Nous voici alors plongés dans un monde où faire justice consiste à se venger de la méchanceté de son voisin en parsemant son appartement de pièges toujours plus irritants ; où l’amour naît de charmants malentendus, entre Georgette et Joseph par exemple, ou d’objets perdus et retrouvés, entre Amélie et Nino ; où on soigne l’aigreur mélancolique d’un veuf en lui faisant croire que son nain de jardin voyage aux quatre coins du globe. Les personnages qui peuplent cet univers fabuleux se définissent par rapport à une chose qu’ils aiment et une chose qu’ils n’aiment pas. Étonnamment, ce principe d’une simplicité insolente est pourtant très éloquent. Dans certaines séquences, la succession haletante de plans aux angles de vue toujours plus variés mime avec brio le dynamisme d’un rêveur qui ne sait pas où donner de la tête, qui court frénétiquement à droite à gauche, enthousiaste et fougueux. Autre motif propre à l’imagination : l’hyperbole. On la retrouve notamment dans la caractérisation des personnages ainsi que dans le jeu des acteurs qui n’est pas sans rappeler la pantomime, typiquement associé au monde onirique. Chacun des acteurs surjoue légèrement son rôle, sans pour autant tomber dans la lourdeur, se fondant parfaitement dans l’atmosphère d’un long-métrage où toutes les couleurs sont plus vives que d’ordinaire, tous les rires plus tonitruants et les sourires plus étincelants.

Malgré toutes ces accumulations survoltées, la simplicité est reine. Le fabuleux destin de notre chère protagoniste ne se matérialise pas dans l’accomplissement de grands exploits mais il réside dans la beauté de ses gestes du quotidien. Il n’est pas ici question d’aspirations professionnelles démesurées, de grands rêves artistiques, de défis sportifs ou d’ambitions rutilantes ; la simple succession de petits moments délicats et d’attentions offertes à ses proches suffisent, une fois mis bout à bout, à constituer une vie belle, dans toute la splendeur de sa simplicité. Tout ce superflu est finalement érigé en essentiel, et cette insignifiance du quotidien en raison d’être.

Cependant, Amélie sait déceler le charme de cet infiniment petit et s’en contente très bien, au point où elle est habitée par la peur du grand large, du monde si vaste qui l’attend, au-delà de son appartement de Montmartre. Vaincre cette appréhension pour enfin pouvoir rencontrer autrui sans se cacher toujours derrière ses rêveries, pour se confronter à la réalité sans se renfermer dans le doux cocon de l’imagination, tel est l’exploit qu’il lui incombe de réaliser. La voix-off d’André Dussolier qui rythme le tout donne l’impression que notre héroïne est comme surveillée par une présence paternelle, empreinte de bienveillance, le comble étant qu’Amélie cherche à devenir elle-même l’ange gardien de ses voisins et collègues.

En somme, Amélie grandit, mais sa fantaisie demeure intacte : plutôt que d’abandonner la créativité de son âme d’enfant, celle-ci devient un prisme pour contempler la beauté du vrai monde. Finalement, quoi de mieux que le cinéma pour partager au spectateur cette perspective qui est celle de l’insouciance, une insouciance forte de sa fraîcheur et de son impétuosité ?

9.5

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