Cinéma

Enquête sur un scandale d’Etat – Envoyé Spécial

0

Avec un titre pareil, Enquête sur un scandale d’Etat s’annonçait sans fard comme un film militant, de ceux qui se laissent gangréner par le didactisme et la bonne conscience. Dans les faits, pourtant, le film se nourrit du déroulement de l’enquête plutôt que de son contenu, disposant l’interaction de ses personnages devant leurs idées. Dans l’optique de placer les faits investigués en-deçà des phénomènes sociaux qui amènent à leur révélation, Thierry de Perreti ouvre son film sur un encart expliquant que celui-ci est inspiré d’un livre, mais que toute correspondance avec des événements réels serait fortuite. C’est partiellement faux. Le livre, rédigé par un journaliste de Libération et un témoin des manigances de l’Etat, raconte bien de manière documentée les événements retracés dans Enquête sur un scandale d’Etat.

Cette ouverture osée déjoue les attentes d’une partie du publique venue au cinéma pour s’informer. Mais cette déréalisation volontaire participe surtout à ancrer le film dans une forme purement cinématographique, hors de la récupération politique potentielle. Le cas Bac Nord, toujours d’actualité (il y a quelques jours, une projection se tenait à Paris en présence de Zemmour, Le Pen et Pécresse), motive peut-être le choix de Thierry de Perreti. Quelles qu’en soient les causes, ce geste préfigure le mouvement qui portera tout le film, et qui consiste à placer la mise en scène devant le politique, employé ici comme carburant narratif.

La forme se construit tout entière autour de la respiration des dialogues. Les plans, larges et longs, peu mobiles, laissent se déployer des discussions nombreuses et denses, truffées d’arguments et de références. Le minimalisme du montage accorde une place centrale à la parole et aux dynamiques qu’elle entraine, tandis que les cadres restituent constamment l’environnement alentour.

L’action journalistique peut alors s’y manifester dans sa dimension purement informative. La confrontation du cinéma de Thierry de Perreti à une émission de débat télévisé aboutit ainsi à une scène d’une grande intensité, où le chaos du montage médiatique est balayé par la sobriété d’un plan unique. Cette déconstruction des artifices spectaculaires participe à concrétiser l’information, à la « remettre à sa place ». C’est qu’il y a une foi dans l’explication chez de Perreti qui investit l’analyse d’une aura hypnotisante, en y consacrant autant de temps que nécessaire. En cela, Enquête sur un scandale d’Etat évite la plus grande maladresse de Don’t look up, qui consistait à parodier les moqueries balourdes de la société en ne produisant rien d’autre qu’une moquerie balourde de plus. Ce procédé, dont l’évidence culmine lors du « cours d’histoire » donné par un juge espagnol qui mènera à l’annulation d’un reportage, sous-tend en réalité l’entièreté du film. L’écriture n’épargne pas le jargon ou la technicité, ne cherche aucune concision, des événements totalement inopérants au sein du récit pouvant occuper plusieurs minutes, comme lors d’une réunion de rédaction s’ouvrant sur la restitution d’une enquête à propos de militants d’extrême gauche.

Puisqu’il se fait restitution sociale du monde journalistique, le film a aussi tendance à s’y arrêter, n’effleurant que rarement la vie de ses personnages parallèlement à l’enquête. Lorsque le journaliste Stéphane Vilner sort d’une partie de pêche, il est immédiatement ramené dans le même plan à une réunion pour l’édition de son livre. De même, l’introduction place l’infiltré Hubert Antoine dans une villa en bord de mer avant de dévoiler les motifs professionnels de cette situation. L’enquête phagocyte tout le reste, jusque dans la scène la plus symptomatique de ce phénomène : celle du karaoké. Après une belle demande en mariage d’Hubert Antoine dans une pièce baignée de lumière artificielle aux influences romantiques, une coupure nous emporte à l’extérieur de la salle. La nouvelle fiancée rabat prosaïquement ce moment à la mort prochaine de son compagnon, atteint d’un cancer. Dans le plan suivant, à l’intérieur de la boîte, Stéphane Vilner annonce à Hubert Antoine son départ de l’enquête suite à la sortie de son livre. Au sein du cadre se joue l’opposition sociale entre deux niveaux d’implications, mais c’est surtout le montage qui brille ici. La vie privée, reléguée au dehors, s’interroge sur des questions de vie ou de mort, tandis qu’Antoine, après une demande en mariage performative, retourne au cœur de l’intrigue.

Ce jeu, aussi sérieux soit-il, finit inéluctablement par être ramené à sa nature de fiction, dans une poignée de main finale qui conclut un climax particulièrement riche. Rebattant les cartes sans retournement de situation, le procès pousse la mécanique orale à son paroxysme, tout en ouvrant de nouvelles pistes d’interprétations (les témoignages étaient-ils véridiques ?). Surtout, il clôt l’intrigue sur une entente cordiale, après une série de plaidoyers qui, par essence, tiennent de la représentation. Pendant que de jeunes marseillais mitraillent en pleine rue avec des armes à feu bien réelles, les structures dialoguent au tribunal. Difficile d’appréhender cette fin en demi-teinte, aveu d’échec ou promesse de réconciliation. Le film, comme la voiture d’Hubert Antoine, disparait dans la nuit, entouré de mystères.

8

Un monde – Entre les murs

Previous article

After Blue – Laisse tomber les filles

Next article

Comments

Comments are closed.

Login/Sign up