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Euphoria : Saison 2 – Selfie

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En 2019, la première saison d’Euphoria était venue dynamiter la série pour adolescents, alors saturée par des productions Netflix formatées. A l’image des personnages, chaque épisode était mu par un désir de reconnaissance dévorant, justifiant une sur-esthétisation frénétique. Le phénomène Euphoria, outre la modernité de ses thématiques, tient sans doute largement à l’évidence instantanée de sa maitrise, propice aux partages sur les réseaux sociaux. Tout y est poussé à l’extrême, les maquillages, les jeux de lumière, les mouvements de caméra, les tenues, mais aussi et surtout les différentes personnalités. Face à la banalisation opérée par Netflix (inclure, c’est faire oublier les différences), Euphoria hystérise des enjeux particulièrement actuels (body-shaming, transidentité, homosexualité, masculinité toxique…) avec une rage d’une sincérité inattendue, et parfois même avec une certaine forme de justesse. Deux ans après la première saison, la série revient, désormais réalisée exclusivement par son showrunner, Sam Levinson.

Attention, cette critique contient de nombreux spoilers sur les deux saisons.

Dans le prolongement de cette première saison autant que dans sa radicalisation, la série finit de détacher les quelques rapports qu’elle entretenait encore avec les programmes adolescents classiques. Le lycée, entièrement désinvestit de sa dimension scolaire, n’est plus qu’un lieu social, un carrefour de rencontres dont ne subsistent que les couloirs et les toilettes. Les jeunes, déréalisés, naviguent entre leurs chambres et quelques soirées, isolés du reste du monde (Rue ne va plus à ses groupes de parole, Nate ne fait plus de sport, Fez ne vend de drogue à personne, et Lexi ne parle jamais à ses acteurs en dehors du cadre utilitariste du casting et de la représentation). Là où la saison 1 tentait de brosser le portrait d’une génération multiple, en plaçant à chaque épisode un personnage secondaire au premier plan, ce nouvel arrivage se contente de fétichiser ce qui avait été déjà installé au préalable, la pièce de théâtre finale poussant ce renfermement à son paroxysme.

Dès lors, puisqu’il est scénaristiquement impossible d’élargir les horizons dans un tel contexte, il ne reste que deux possibilités : créer ou briser des liens. Rue rompt avec Jules, Kat rompt avec Ethan, Maddy rompt avec Cassie, Nate sort avec Cassie avant de rompre avec elle, puis avec son père, qui a lui-même rompu avec sa femme, tandis que Lexi se rapproche de Fez. De fait, l’amour et l’amitié sont devenus les seuls moteurs narratifs envisageables d’une adolescence sans scolarité ni problématiques psychologiques (qui étaient pourtant le cœur de la saison 1). Seule Kat a le droit de souffrir d’une vision anecdotique sur la perception de son corps. La vie intérieure absentée laisse sa place à une alternance interminable de disputes et de réconciliations. Le tout étant imbriqué à deux sous-intrigues liées au trafic de drogue, qui ne servent en réalité que de prétexte à leurs climax respectifs (la découverte de la valise pour Rue, l’interventions des forces de l’ordre pour Fez).

Au milieu de cet étrange chaos, trois épisodes tentent de se détacher par des concepts forts. Le numéro 5 suit la fuite de Rue, refusant d’aller en désintox. Bloqué à son postulat de base, il se contente d’une course sans but qui n’accouche jamais sur le voyage initiatique attendu, à peine esquissé. Le septième épisode est centré sur la pièce de théâtre de Lexi. Terriblement plat, il s’avère incapable d’assumer jusqu’au bout sa forme : comme s’il ne croyait pas dans la capacité d’attention de son audience, Levinson rajoute des plans sur les réactions (surjouées) du public, ainsi qu’une série de flash-back qui paraphrasent les scènes de la pièce. Le concept est alors réduit à une amorce, une promesse jamais tenue qui n’ose pas recentrer son sujet. L’œuvre de Lexi, pourtant la seule démarche personnelle et développée de cette saison, n’existe que lors de la comédie musicale parodiant Nate, c’est-à-dire lorsqu’elle n’essaie plus de singer le réel, mais seulement de s’en moquer. 

Or, c’est aussi de cette façon que le troisième épisode de cette saison se démarque du reste. Face à la vacuité de faux enjeux et d’intrigues superficielles, il se positionne explicitement comme une comédie absurde et surréaliste qui, par son inventivité et son humour, trouve le ton parfait pour aborder ses personnages. Que ce soit l’interrogatoire de Jules sur la relation entre la Rue et Elliott, la discussion mémorable sur Oklahoma dans les toilettes du lycée, ou bien le making-of parodique qui introduit l’écriture de la pièce de Lexi, les libertés prisent avec l’univers font passer la série, l’espace d’un unique épisode, de la fétichisation à l’ironie (les doutes de Cassie sont tournées en ridicule par sa crise de nerf imaginaire, tout comme le passé de Jules lorsqu’on enquête sur son nombre de partenaires). Pendant une heure, il ne s’agit plus simplement de faire survivre un héritage, mais d’en exploiter concrètement les possibilités, avant de retourner à un format plus classique.

Submergé par le succès de son œuvre, Sam Levinson parait tétanisé à l’idée d’y toucher en profondeur. Ce faisant, il se contente d’une fan-fiction toujours formellement ambitieuse mais tristement autocentrée qui, tout en donnant le sentiment de partir dans toutes les directions, ne fait en réalité que du surplace. Après avoir parlé des angoisses de la jeunesse, Euphoria ne parle désormais plus que d’elle-même. Pour l’instant, rien ne laisse penser que le sujet soit aussi intéressant.

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