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Mangrove & Lover’s Rock : le souffle des damnés

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La « collection de films de Steve McQueen » Small Axe constitue un objet filmique à part, à mi-chemin entre la mini-série et le simple enchaînement de long-métrages, et suscite, rien qu’en cela, la curiosité de nombre de cinéphiles, jusqu’à l’intelligentsia cannoise. Les deux premiers films, Mangrove et Lover’s Rock, ont en effet été sélectionnés en compétition officielle – ou tout du moins « labellisés Cannes » dans le tragique contexte de l’année écoulée – et méritent qu’on s’attarde sur leur propos de fond et leur verve toute particulière, en ce qu’ils rompent les catégorisations traditionnelles et s’imposent comme des œuvres à part dans le paysage audiovisuel.

Londres, années 70-80. Dans cette période encore douloureuse pour la communauté antillaise britannique – et les tragiques évènements de 2020 nous montrent que le racisme est malheureusement encore une réalité profonde – deux intrigues radicalement différentes, tout du moins dans leur substance, viennent se conjuguer devant la caméra de Steve McQueen. Rien ne réunit, à première vue, un legal drama engagé et un film dédié à « tous les amoureux et tous les rockeurs », si ce n’est le décor londonien et la communauté filmée. C’est justement ces deux éléments qui constituent le souffle même des cinq propositions du réalisateur britannique, qui parvient avec brio à retranscrire l’atmosphère tantôt dangereuse et vindicative, tantôt festive de cet espace-temps précis.

Mangrove et Lover’s Rock sont les deux facettes d’un Londres désenchanté, et nous rappelle l’amour de leur auteur pour les damnés, pour les causes un temps perdues mais qui, à force de lutte et de combat, abandonnent leur inanité. Hunger et Twelve years a slave, dans des contextes historiques pour le moins différents, en sont la parfaite illustration. Et Small Axe dans son ensemble, dont les deux films ici analysés sont les porte-étendards, s’inscrit dans la droite lignée de la mission que s’est confiée McQueen.

Pour en venir aux métrages en eux-mêmes, les premières similitudes se trouvent être dans la mise en scène et l’habileté avec laquelle le cinéaste anglais dépeint ses histoires. En jouant avec les longueurs et les effets techniques, il insuffle un élan peu commun à ces personnages, interprétés avec une justesse remarquable par ailleurs, en témoigne la performance de Letitia Wright, brillante leader des activistes dans Mangrove et déjà célèbre pour son rôle dans Black Panther. C’est d’ailleurs ce qui rend le premier film légèrement supérieur à Lover’s Rock, tant la mise en scène du procès et de ses antécédents constitue un travail d’orfèvre où chaque plan sert un propos de fond déjà très fort.

Le ton du second film, plus festif donc, et naturellement moins engagé, contraste avec la verve revendicative et militante du premier mais délivre un autre regard sur cette communauté, avec de nouveaux protagonistes et une intrigue, il faut le reconnaître, moins prenante. La force de Lover’s Rock réside dans son atmosphère, où se mêlent égarement et enchantement pour dépeindre en musique mais sans fioritures le plus beau des sentiments : l’amour. Là où Mangrove frappe, surprend et prend aux tripes, balançant au visage la lutte légitime des opprimés, ce second chapitre de la collection nous transporte, nous envoûte, au milieu des corps dansants capturés par la caméra de Steve McQueen.

Sublimés par une aisance technique hors du commun et un profond amour pour ses personnages, les deux premiers chapitres de Small Axe, sauront, à n’en pas douter, se faire une place de choix dans la filmographie de leur auteur, tant on y retrouve tout ce qui fait le sel du cinéma de Steve McQueen. Confrontés à un danger permanent et une injustice qui ne font qu’aviver les flammes de la révolte, les personnages de Mangrove et de Lover’s Rock se dressent vaillamment face à l’Histoire, face à leur propre histoire.

 

“No justice, no peace”

 

Disponibles sur Salto.

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