Cinéma

Mediacrash – L’urgence, déjà

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Dans la torpeur d’une campagne présidentielle qui peine à démarrer, deux journalistes d’investigation – Valentine Oberti de l’inévitable Mediapart et Luc Hermann de Premières lignes – se sont lancés, en à peine quatre mois, à l’attaque de l’un des outils les plus puissants des démocraties contemporaines : la machine médiatique. Devant l’emprise d’une poignée de milliardaires sur les principales sources d’information du pays, ils ont enquêté, sans relâche, faisant honneur à une profession en souffrance, sur la fabrique de l’opinion et sur ceux qui, dans une indifférence qui commence à s’effriter, mettent en danger l’indépendance des rédactions et le débat public. Le résultat est alarmant et sans appel : Mediacrash.

Des récits juxtaposés, impliquant tour à tour l’inénarrable Vincent Bolloré, Bernard Arnault et leurs homologues, forment la ligne directrice de cette œuvre hétérogène. Film-enquête, à l’état brut, sans artifices de cinéma ou de mise en scène en dehors de quelques tentatives au début et à la fin du métrage, Mediacrash. Qui a tué le débat public ? ne déploie pas ses efforts dans sa forme – ce que certains regretteront – mais dans son fond, largement suffisant à susciter l’intérêt du spectateur et, pour le coup, scénaristiquement haletant. Car la force des histoires qui sont contées sont leur ancrage dans un réel qui dépasse presque parfois la fiction : atermoiements, hésitations, dissimulations, les ingrédients du thriller politico-médiatique sont réunis dans chacune des bribes narrées par la voix de nos deux enquêteurs. Chaque intrigue se suffit à elle-même et la mosaïque finale, de 85 minutes, offre à voir les rouages et mécanismes d’un milieu en décrépitude devenu une industrie : le « contre-pouvoir » médiatique.

Ces révélations, parfois déjà plus ou moins connues du public averti, mettent en cause l’engeance dominante, qui se voit désarmée une fois dévoilés les dessous de leur influence, dont les organes de presse écrite et l’audiovisuel ne sont que les outils finaux. L’effort de documentation – à l’image des enregistrements téléphoniques insérés tels quel au film – renforce l’immersion du spectateur dans cet univers mystérieux – en son sens le plus fidèle, « réservé aux initiés » – dans lequel il prend conscience de n’être que la cible. Car voici précisément la visée de ce projet : faire prendre conscience à celui qui aura l’occasion de le voir que l’information mise à sa disposition n’est pas des plus pures et que ceux qui la contrôlent ne sont pas des anges dénués de tout intérêt supérieur à la noble cause du droit à l’information.

Mais il y a quelque chose d’autre, cela va plus loin. Les enjeux de l’ultra-concentration des médias à grande capacité d’écoute menacent les fondements-mêmes de la démocratie contemporaine, ce sur quoi elle est bâtie, la notion de liberté. Parfois bafouée, cette dernière ne peut se concevoir indépendamment d’un éveil de chacun sur les véritables problématiques qui concernent la société. Et c’est dans cette optique, dans cette quête de vérité, que s’inscrit Mediacrash, dernier-né de Mediapart, qui, dans son intérêt propre – il faut le dire – mais également dans celui des citoyens, s’attache à produire des documents, des dossiers d’enquête qui feront trembler ceux que rien d’autre ne peut faire trembler.

Ce décryptage d’instances viciées, où se croisent et se recroisent hommes d’affaires milliardaires, politiciens et un ancien directeur de la DGSI, est alarmant en ce qu’il fait état de l’impuissance publique – ou plutôt du manque de volonté ou de courage des forces politiques qui en auraient le pouvoir – face à un tel délabrement des médias français. Et s’il reste quelques lueurs d’espoir, dans les alternatives indépendantes qui se mettent en place, le constat général fait mal, angoisse et inquiète logiquement celles et ceux qui sont un tant soit peu attachés à l’indépendance de la presse et au droit à l’information.

Enquête brute sur un monde cryptique, Mediacrash. Qui a tué le débat public ? revient sans ambages et avec ambition sur les méfaits de ceux qui possèdent ces outils médiatiques et qui trahissent, quasiment en permanence, la mission qui est celle des journalistes, impuissants. Tout n’est pas perdu, le changement appartient même au champ des possibles, tant les efforts ne sont pas hors de portée de la volition politique. Oser se frotter à quelques-uns des plus puissants demandent un peu de courage certes, mais rien n’est insurmontable.

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