CinémaCritiques

Palm Springs – Facilement consommable

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La guerre fait désormais rage entre les plateformes de diffusion. Netflix, Disney +, Amazon Prime et j’en passe : qui prendra l’avantage définitif ? Qui pourra se targuer, d’ici dix ans, d’avoir définitivement enterré la concurrence ? Les batailles se jouent aujourd’hui sur le moindre film : de la superproduction aux festivals de cinéma plus auteurisants, les droits de diffusion sont ardemment disputés. À Sundance en particulier, festival américain en vogue, les plateformes sont aux aguets, et l’an passé Palm Springs a pour le moins séduit. L’offre la plus alléchante portée par Hulu – un record pour un film provenant de Sundance – a raflé la mise aux Etats-Unis, mais pour ce qui est de la France, c’est la plateforme Amazon Prime qui s’est octroyée la diffusion. Alors le jeu en valait-il la chandelle – en l’occurrence 17 millions de dollars et 69 cents ? Bof.

Le synopsis du film rappellera à de nombreux spectateurs attentifs – et même aux autres – celui d’un film dont le culte s’est développé au fil des années : Un jour sans fin, d’Harold Ramis, porté par l’inénarrable duo Bill Murray-Andie McDowell. Ici encore, on retrouve donc un jeune homme, Nyles, pris dans une boucle temporelle dont il ne peut réchapper et qui, à contrecœur, entraînera avec lui une compagne d’un soir qui se répète, Sarah. Inutile de préciser que cette dernière ne sera a priori pas ravie de sa nouvelle condition, et dès lors s’enchaîneront les mésaventures de nos deux compagnons.

Max Barbakow, à qui nous devons ce film, n’est probablement pas un grand cinéaste. Les limites de sa mise en scène, qui ne propose rien d’intéressant, parlent d’elles-mêmes. Il reste que le regard touchant qu’il pose sur ses personnages suffit à rendre le tout agréable et même, parfois, attachant. Ce charme certain est en grande partie dû à son couple d’acteurs, Andy Samberg et Cristin Milioti, dont la complicité désarmante est assez enchanteresse. On se plaît ainsi à suivre leurs aventures, plaisirs et langueurs au pays des jours qui recommencent, sans ennui ni fatigue. D’autant que le cinéaste a l’intelligence de nous lancer dans la boucle directement, comme si nous y tournions depuis longtemps déjà, puisque finalement nous la connaissons. Ainsi le film slalome-t-il joliment entre quelques rires francs et des instants plus délicats.

Mais finalement, que reste-t-il de ces beaux jours ? Hélas, pas grand-chose. Débridé et désabusé, cool et tendance, le film fait de grands gestes mais brasse le plus souvent du vide. Palm Springs est le prototype de la comédie Sundance : la légèreté de façade ne recouvre hélas pas grand-chose. Si l’on regarde par exemple la mise en scène, les effets sont pour la plupart pauvres et éculés : ralentis de circonstance, énième montage musical, rien d’inventif. Lorsque le film se veut plus profond, Barbakow trahit hélas son incompétence en matière de pensée : tout est plat, convenu, délavé. C’est au contraire lorsque le cinéaste se focalise sur ses personnages, leurs misères et leurs doutes, qu’il capte quelque chose de plus fin : la tristesse qu’il y a d’être seul lorsqu’on connaît le bonheur d’être à deux. Malheureusement, tout cela ne va pas plus loin que quelques, rien que l’on puisse véritablement ressentir. Le film est donc une comédie typique, une de plus, et qui, lorsqu’elle veut être plus, se ridiculise. Et encore, estimons-nous heureux : il s’agit là d’un prototype de comédie, qui a au moins le mérite de la légèreté, les drames Sundance étant plus plombants les uns que les autres.

L’utilisation que le cinéaste fait de la musique est particulièrement révélatrice de ses ambitions, ou plutôt de sa non-ambition. Palm Springs est un film jukebox, dont la bande originale est évidemment réjouissante, mais qui n’en fait absolument rien. Comme désormais de nombreux réalisateurs, Max Barbakow confond BO et playlist. Il s’agit ici simplement d’enchaîner les chansons, sans les mettre en valeur d’une quelconque manière, de sorte que le spectateur soit pris dans le rythme, qu’il ne détourne pas les yeux de l’écran, et que l’algorithme soit satisfait du temps de visionnage. Ce n’est pas en invoquant platement The Partisan de Leonard Cohen l’espace de quelques secondes que le spectateur peut ressentir quelque chose, si ce n’est un peu d’autosatisfaction dérisoire s’il reconnaît la chanson. Aucune scène musicale ne se déploie sur le temps long, ne fait de sa musique autre chose qu’un fond sonore agréable. Là encore, le film sacrifie ce qui pourrait être beau sur l’autel du cool, du débridé. Le plaisir est là, sur le moment, tout se laisse regarder agréablement, mais rien ne marque, rien ne dure.

Qu’on ne se méprenne donc pas, le film reste tout à fait agréable, sympathique, mais il est symptomatique d’un certain cinéma d’aujourd’hui, et c’est bien là son drame. Surfant sur la coolitude et le stylé, Palm Springs est un bon moment rapidement oublié, une de ces pastilles acidulées qu’on consomme à la chaîne, presque un tic-tac filmique. Comme piégé dans sa propre boucle, le film s’accorde hélas très bien avec le projet des plateformes de streaming. Le générique venu, il ne reste plus qu’à effacer notre léger sourire et relancer le tout avec un autre film, indifférent du précédent comme du suivant, ne serait-ce que pour retrouver ce léger sourire et recommencer encore et encore, indéfiniment, tant que l’algorithme tient.  

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Luca Mongai
Rédacteur en chef de la Cinémat'HEC pour l'année 2021-2022.

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