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Scanners : médicaments & malédiction

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David Cronenberg n’est pas un réalisateur comme les autres. Iconoclaste, visionnaire, provocateur parfois, il pousse toujours sa démarche artistique à l’extrême. Scanners ne fait pas exception et transpire, à chaque seconde, la verve si caractéristique du cinéaste canadien. Le sixième long-métrage de son auteur, sorti dans les salles obscures en 1981, contient effectivement en son sein ses thèmes de prédilection et propose, non sans subtilité, un regard violent sur le piège qui se referme inlassablement sur l’homme moderne.

Cameron Val, jeune homme doué de télépathie et de facultés mentales exceptionnelles, est l’un des quelques médiums perçus comme des menaces par ConSec une grande société qui cherche à les traquer. Repéré par le docteur Paul Ruth, influent dans l’entreprise, il va être amené à détecter ses semblables pour le compte de ce dernier, au péril de sa propre vie. Véritable aventure, teintée de nuances sombres, le long-métrage immerge son spectateur dans un Canada des années 1970 anxiogène et étouffant, dans lequel est contraint d’évoluer le héros, interprété efficacement par Stephen Lack.

Scanners a tout d’un grand film de Cronenberg. Rarement cité lorsqu’on évoque son réalisateur, il ne peut être réduit au statut de film mineur, tant ce qui ressort de son visionnage imprime une marque indélébile dans l’esprit du spectateur. Et si certains aspects techniques sur lesquels nous reviendrons ont pris un petit coup de vieux, la force de son propos, elle, reste intemporelle. Parce que les protagonistes de Scanners sont confrontés à des problématiques qui persistent dans nos sociétés contemporaines, voire qui s’accentuent. Le regard acéré et vindicatif que pose le cinéaste canadien sur l’industrie pharmaceutique – symbolisé par l’Ephéménol –, sur les dangers insidieux de la société de consommation reste très pertinent et entretient un questionnement sain, à condition de ne pas verser, comme certains peuvent être tentés de faire, dans de crasses théories conspirationnistes. Car l’enjeu du film est précisément d’éclairer le spectateur, de l’avertir en levant des zones d’ombres et de le pousser dans ses retranchements.

Un autre des aspects criants de ce que cherche à évoquer Cronenberg réside dans le rapport à l’altérité, à l’anormalité. L’homme unidimensionnel de la société capitaliste, pour reprendre la terminologie marcusienne, est constamment tiraillé entre le devoir inconscient de masquer ses différences pour rentrer dans le moule et le besoin naturel de les laisser se manifester au dehors. C’est ce qu’incarnent très justement Cameron, Darryl, Kim ou Benjamin. Ces médiums ne sont pas des humains normaux – si tant est que cela veuille réellement dire quelque chose – et se débattent contre ce qu’ils sont, par des biais très différents certes, mais toujours contre un ordre qui ne les accepte pas complètement. Cette éternelle et complexe problématique, qu’évoquent également pertinemment les comics et films X-men par exemple, constitue une des lignes de force d’un long-métrage qui s’inscrit parfaitement dans la filmographie de son réalisateur.

Mais, plutôt que de s’égarer dans une analyse philosophique qui pourrait s’éterniser, intéressons-nous de plus près à la mise en scène d’un long-métrage qui regorge de gimmicks propres à Cronenberg. L’atmosphère profondément malsaine, parfois lancinante, que réussit à instaurer le cinéaste canadien est entrecoupée d’instants électrisants, où gore et kitsch se mêlent dans un cocktail certainement dépassé de nos jours mais terriblement jouissif tant il respire l’amour d’une certaine forme de cinéma, encore vierge d’effets spéciaux numériques extravagants. C’est là l’un des points qui donnent une saveur particulière à un film comme celui-ci, qui voit le jour au crépuscule d’une époque et dans lequel l’auteur parvient, aussi bien par sa technique extrêmement précise que par ses choix radicaux de mise en forme, à imposer sa vision, certes imparfaite, mais unique en son genre. 

Long-métrage percutant et dérangeant, Scanners ne vous assure certainement pas de passer un moment très agréable. Mais le cinéma n’a pas que vocation à divertir – et heureusement. C’est précisément dans ce malaise que procure le film de Cronenberg que tient son indicible pouvoir, confronter le spectateur aux démons de son propre monde, bien réel celui-ci. Finalement, regarder Scanners, c’est simplement se rendre compte que prédisposition rime à la fois avec malédiction et aliénation.

 

“The future? You murdered the future.”

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