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Tout simplement noir – Sketches sans chaînes

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De la dernière cérémonie des César, qui oscilla principalement entre le taciturne et le désespérant, on ne retiendra franchement pas grand-chose. Mais la soirée en elle-même est à différencier du palmarès, lui tout à fait convenable, et qui récompensa notamment Jean-Pascal Zadi pour sa prestation dans son propre film, Tout simplement noir. Le discours qui s’ensuivit, dont on ne peut nier l’engagement sincère et profond, fut hélas un peu plus solennel que le susdit film. Il reste que Jean-Pascal Zadi est entré l’été dernier avec fracas dans la bergerie du cinéma français et gageons que c’est une bonne chose car, en dépit des faiblesses de son premier film, sa parole recouvre une drôlerie salvatrice. 

Jean-Pascal est un acteur raté qui approche la quarantaine, multiplie les vidéos pour le moins provocatrices en défendant la cause noire, et décide d’organiser une marche réservée aux hommes noirs pour dénoncer la sous-représentation des Noirs dans la société française. Il souhaite alors que des personnalités influentes, comédiens et artistes renommés, fassent la publicité de cette manifestation politique, de sorte qu’il ne soit pas le seul à marcher. Il croisera dès lors sur son chemin Fary, Eric Judor, Soprano et bien d’autres qui s’engageront de bon cœur pour l’aider, ou pas.

Le film est indéniablement très drôle par moments, notamment lorsqu’il pousse l’absurde jusqu’aux limites du convenable. Accents africains exacerbés, réactions stéréotypées, répliques hallucinantes (« un vrai Noir, il a les cheveux crépus et la peau ébène », « tu sais bien que les imams c’est pas good vibes », je vous promets que, dans le film, c’est drôle) : Zadi va loin et c’est là qu’il fait mouche. On notera en particulier certaines scènes qui, définitivement, sortent du lot. L’apparition de Mathieu Kassovitz par exemple qui, pour son nouveau film sur la colonisation au Congo belge, recherche un Noir qui comprenne et ressente l’Afrique comme lui, pousse l’absurde à la frontière du malaise mais reste toujours du bon côté. On pourrait également citer l’affrontement irréel entre Fabrice Eboué et Lucien Jean-Baptiste – Case départ vs. La première étoile –, là encore complètement dingue.

Jean-Pascal Zadi reprend la forme du documenteur : une équipe décide, pour des raisons peu claires d’ailleurs, de tourner un documentaire sur Zadi. Les caméras suivront alors ses mésaventures. Il est malheureusement regrettable qu’il n’en fasse rien. L’humour ici repose avant tout sur l’absurdité des situations et des répliques, très peu de gags sont visuels et jouent avec la mise en scène. Le film aurait pu prendre n’importe quelle autre forme que rien n’aurait été changé, et ce ne sont pas les quelques discrets regards caméras qui me contrediront. Certaines situations restent dictées par la forme du film, mais là encore, elles sont loin d’être les plus drôles et marquantes. Rien ne ressort vraiment de la forme qui ne soit éculé, déjà vu et revu ailleurs, en mieux. Lorsque l’on a par exemple en tête le modèle de The Office – hilarante série qui reprend, elle aussi, la forme du documenteur – les faiblesses de la mise en scène de Zadi sont criantes. Aucune inventivité visuelle, aucune idée qui ne ressorte, aucun choix de cadrage qui ne serve vraiment l’action, rien. 

Mais le véritable problème ici est celui que rencontrent bien souvent les films à sketches : le piège de la disparité au profit de l’unité. La qualité n’est hélas pas égale 1h30 durant, et le rire non plus. Certaines scènes sont clairement plus drôles que d’autres qui, en comparaison, tombent à plat. Et c’est là tout le piège lorsque l’on adopte une forme si déliée : cette impression de voir s’enchaîner des saynètes inégales, plus ou moins réussies, plutôt qu’un film pensé comme une unité se déployant sur la durée. Dès lors on ne retient plus un film mais certains moments.  

La fin, elle aussi, fait défaut. Elle tombe, ainsi que le veut l’expression, comme un cheveu sur la soupe. Quelques légers spoilers sont à prévoir ici. L’altercation quasi-finale est pour le moins surprenante. Qu’on ne soit pas malhonnête, cet étonnement est d’évidence voulu par Zadi qui souhaite montrer comme la violence assaille aujourd’hui la communauté noire de manière impromptue. Mais l’effet obtenu ne me semble pas adéquat. On ressort de la scène plutôt étonné que révulsé, révolté. Il ne s’agit pas ici de nier la gravité de l’acte montré, mais de s’interroger sur la manière dont il est montré, mis en scène.  La scène suivante, finale cette fois, est elle aussi assez surprenante, en décalage avec le reste du film. Si la volonté de clôturer un arc narratif par des retrouvailles est louable, l’arc en question est si peu travaillé, si pauvre qu’il est désarmant. Il est physiquement impossible de ressentir une quelconque émotion lorsque les personnages sont si peu exploités, en particulier celui du père. On dirait presque que le cinéaste est lui-même embarrassé par son final, tant il l’expédie en 3 répliques à coups de piano mélancolique et de soleil couchant. Bref, dommage d’assister à cela.

Tout simplement noir est un film dont l’intention est fort louable : sortir des discours lénifiants auquel nous a habitué le cinéma français pour proposer quelque chose de véritablement percutant. Malheureusement, si le film est drôle par instants, il ne m’en reste aujourd’hui pratiquement rien, si ce n’est quelques fulgurances. Peut-être est-ce dû au fait que je ne l’ai pas vu en salles, puisque, le public aidant, les sourires que j’ai esquissés se seraient probablement convertis en rires plus francs.  Mais cela n’aurait pas fait oublier la pauvreté de la mise en scène et de certaines situations. Dommage donc, car Jean-Pascal Zadi semble être prometteur et avoir des choses à dire. Il ne lui reste plus qu’à associer l’image à la parole.

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Luca Mongai
Rédacteur en chef de la Cinémat'HEC pour l'année 2021-2022.

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