Cinéma

Un monde – Entre les murs

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Ces dernières années, on a pu observer plusieurs itérations de films penchant vers un cinéma dit « immersif », investissant tous leurs effets de mise en scène dans l’implication du spectateur. Cette ambition a abouti autant à des œuvres spectaculaires (les longs plans-séquences de 1917 ou d’Utoya) qu’à des long-métrages plus naturalistes. La nécessité, pour un réalisateur, de produire une œuvre immersive questionne néanmoins sa vision du cinéma, la démarche sous-entendant que la forme classique ne serait pas suffisante à l’atteinte émotionnelle de l’audience. La question qui se pose devant un film immersif, et à fortiori devant Un monde, demeure donc la même : penser sa mise en scène exclusivement par rapport à l’investissement potentiel de l’audience, au sein d’un art qui n’a jamais vraiment peiné à le provoquer, ne serait-ce pas in fine contre-productif ?

Dans le cas d’Un monde, il s’agit de vivre les premiers jours de Nora à l’école primaire. La jeune fille, qui ne connait à l’origine que son frère au sein de l’établissement, va découvrir que ce dernier est victime de violences répétées, ce qui aura de larges conséquences sur ses relations avec les autres enfants.

Le grand choix de réalisation adopté par Laura Wandel pour son premier film est similaire à celui d’Audrey Diwan pour L’évènement : une caméra très proche du personnage principal, accompagné d’une profondeur de champ suffisamment faible pour que tout, à l’exception de Nora, apparaisse constamment flou. De cette similarité nait une quantité de variations à l’avantage de la réalisatrice belge, qui évite les écueils dans lesquels le Lion d’or avait tendance à s’abandonner.

En plaçant la caméra à hauteur d’enfant, les adultes apparaissent comme des silhouettes impersonnelles dont l’identité ne se révèle que lorsqu’il se mettent à genoux. Le reste du temps, ils se réduisent à un corps sans visage, légèrement menaçant, dont les yeux surplombant le champ rappellent leur incapacité à voir les actes de harcèlements qui se perpétuent sous leur autorité. L’absence de netteté en arrière-plan, qui avait tendance à lisser les décors de L’évènement, est ici employé comme vecteur de chaos. Le contraste entre Nora, silencieuse et mesurée dans ses déplacements, est alors multiplié vis-à-vis de l’agitation environnante. Là où Un monde excelle, c’est dans sa capacité à partager l’oppression générée par ces masses d’enfants flous qui courent dans le cadre, hurlant et riant à chaque récréation.

Malheureusement, la précision du procédé finit aussi par l’épuiser. Son uniformité, bien qu’attestant d’une réflexion poussée, laisse imaginer qu’un moyen-métrage aurait été un format plus approprié. Narrativement, le film se construit sur un modèle (trop) simple : aucune sortie de l’école (perçue comme une prison), uniquement un mélange de cours, de récréations et de pauses à la cantine. Les scènes obéissent à un schéma répétitif, d’abord séduisant mais fastidieux sur le long-terme, qui consiste en une alternance de moments scénarisés (les relations de Nora avec les élèves/son frère/les adultes) et d’autres purement illustratifs (une dictée en cours de français, une séance de natation, un entrainement de sport, etc.).

On comprend aisément que, dans l’optique d’une œuvre immersive, ces moments qui rythment la vie d’une écolière aient aussi à rythmer le film. Il ne faudrait pas nier la capacité de Laura Wandel à capturer, en l’espace de quelques dizaines de secondes, l’atmosphère d’une classe ou d’un vestiaire. Le problème est ailleurs, dans une sensation de fonctionnement à vide qui, provoqué par la facilité avec laquelle on intériorise les ficelles de narration, aboutit inéluctablement à de la lassitude. Le choix de cette mise en scène proche de l’héroïne, qui particularisait Un monde à son ouverture, termine en le limitant à une esthétique unique et donc redondante. A tout filmer de la même manière, les coupes amènent lentement à une impression de déjà-vu qui se régularise insidieusement.

En restreignant chaque scène à quelques courtes minutes (voire parfois moins), c’est le projet entier qui joue contre lui-même. Si les plans-séquences sont nombreux et servent de multiples dynamiques (faire ressentir la lenteur des réactions au harcèlement, la tension d’un exercice ou le rejet durable des enfants), ils ne parviennent qu’à moitié à camoufler la durée abrégée des situations. Le portrait qui est fait de la vie scolaire prend donc une allure globale, éparpillée, dont les instants de vie isolés et réduits à leur plus pure essence doivent suffire à générer un ensemble concret. L’exercice périlleux est partiellement tenu par la maitrise de la réalisatrice, mais ce format affaiblit la temporalité naturaliste, et à plus forte raison l’immersion, qui auraient sans doute bénéficié d’un développement plus conséquent attaché à la scène comme unité indépendante. Il en ressort un film éminemment aimable, théoriquement accompli, mais qui peine à pleinement se matérialiser. Que sa durée d’1h15 paraisse déjà longue pourrait apparaitre comme un défaut rédhibitoire, mais il fait surtout état d’une erreur de départ, dont la plupart des conséquences problématiques envisageables sont évitées avec un réel talent par Laura Wandel. Bien que l’immersion mine ses potentialités visuelles, sa façon d’esquiver toute grandiloquence, de ne pas chercher l’image-choc ou la déréalisation démontrent un intérêt sincère pour son sujet. Et si, au bout du quatrième cours de sport, la fascination a disparu, il faut se souvenir de l’impressionnante acuité du premier.

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Adieu Paris – Adieu le cinéma. Adieu Murat, Arditi, Le Coq, Prévost, Depardieu, Poelvoorde, Baer.

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