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Le mal-être psychologique confronté à la mort

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Après le succès universel de The Father, Florian Zeller a décidé d’adapter cette année la deuxième œuvre de sa trilogie de théâtre, The Son, au grand écran. Le premier long-métrage du cinéaste fut brillant car il nous a plongés au plus profond de la psychologie d’un vieil homme souffrant de la démence. On vit de l’intérieur, dans un huis clos très bien construit, comment le personnage principal perdit progressivement ses repères, comment la panique et le mal-être ont envahi son esprit, à l’image des araignées qui envahissent le cerveau du poète dans le Spleen de Baudelaire. Florian Zeller est un génie de la dramaturgie et montre qu’il sait parfaitement bien construire un drame psychologique, construisant une ascension narrative qui parvient à déstabiliser complètement le spectateur au moment du breakdown psychologique d’Anthony lors du dénouement. Il faut également souligner le brillant jeu d’acteur d’Anthony Hopkins pour ce personnage, élément central qui donne toute la force au film également.

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Le deuxième long-métrage de Zeller a été accueilli de manière bien différente. Il a divisé une communauté qui n’a pas retrouvé la même grandeur du premier film dans le deuxième opus. Cette fois-ci, Zeller opte pour une approche différente : au lieu de se placer du point de vue extérieur, le spectateur est placé du point de vue des parents d’un enfant qui souffre d’une forte dépression et de troubles psychologiques. Il ne va plus à l’école, et il n’a plus aucune envie de vivre. Cet enfant est également tiraillé par le fait que son père, Peter – interprété par Hugh Jackman – s’est divorcé de sa mère il y a quelques ans et est allé vivre avec une autre femme, Beth, avec qui il a eu un nouvel enfant. Peut-être le choix d’une telle approche est ce qui a suscité l’indignation d’une communauté qui a été, je trouve, au fond, profondément dérouté par le choix d’un tel sujet encore tabou en France. Mais je souhaite ici défendre The Son pour le courage qu’a eu Zeller d’aborder un sujet très difficile, surtout pour les personnes qui auraient vécu ou auraient témoigné de près des proches souffrir d’un tel mal-être psychologique, et de l’avoir fait, malgré un début de film un peu lent et monotone, d’une manière ultimement brillante et puissante, comme il avait réussi à le faire avec The Father.

Florian Zeller aborde dans ses deux films des troubles et des maladies psychologiques qui affectent profondément ses personnages et les mettent dans un rapport unique et difficile à véritablement saisir, pour le reste des individus, avec la mort. Or, le grand défi de Zeller dans The Son est de réussir à peindre le portrait d’un jeune adolescent en dépression. Le choix du réalisateur est avant tout de ne pas chercher à expliquer les sources et les raisons de cette dépression, et je trouve c’est peut-être là quelque chose de quoi surprendre d’un dramaturge qui sait si bien construire des intrigues. Le fait est que parfois on peut identifier une cause ou retracer, dans l’histoire d’un individu, des raisons qui expliqueraient, au moins, en partie leur dépression. Mais le plus souvent ce mal n’a pas d’explication claire et rationnelle, et c’est précisément ça ce que veut mettre en lumière Zeller dans ce film. Nicolas a perdu son envie de vivre et personne ne parvient à comprendre cela : ni les parents, ni les spectateurs. Et c’est là le premier élément déroutant qui parvient à plonger le spectateur dans le film – ou à le perdre s’il décide de ne pas rentrer dans le jeu et d’exiger une explication raisonnable. À la fois ça donne une force au film pour qu’il puisse consolider ses bases, à la fois cela explique également que le film peine à vraiment avoir du rythme dans sa première partie, comme rien n’est véritablement expliqué pour rendre compte des troubles de Nicolas. Au contraire, le film se concentre sur le personnage de Hugh Jackman qui doit jongler entre son ancienne vie avec Kate, son ex – interprétée par Laura Dern – et sa nouvelle vie avec Beth – interprétée par Vanessa Kirby – et son nouveau-né.

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Une fois l’exposition un peu lente passée, le film gagne tout à coup de la vivacité et du rythme qui commencent à le propulser vers un dénouement extrêmement puissant et perturbateur. Car en effet, ce que Zeller montre avant tout dans son film, c’est l’impuissance des parents à comprendre véritablement ce qui dérange leur enfant et à agir correctement. Peter ne se rend pas compte qu’en essayant d’aider son enfant, il lui met encore plus de pression. Troublé par le fait d’avoir eu un père qui l’a abandonné petit avec sa mère à l’hôpital – une seule scène, avec le retour très bref de Anthony Hopkins, suffit pour dire ça en quelques plans – Peter essaie de « faire mieux » et d’éviter les erreurs du passé avec son enfant. Mais en fin de compte, il ne fait que les répéter. Beth est de plus en plus effrayé avec ce que devient Nicolas et une scène de dispute entre les parents lui pousse à dire quelques atrocités que l’enfant entendra malheureusement. Et finalement, une scène de confrontation entre le père, qui apprend que son fils lui a menti pendant tout le temps qu’ils vivaient ensemble, scellera le destin tragique du film.

The Son aborde avec la même intensité que The Father le rapport à la mort que les troubles psychologiques peuvent provoquer chez l’être humain. Le suicide devient le principal acteur de ce drame en fin de compte, qui hante à chaque instant les pensées de Nicolas. Sauf que le spectateur n’a pas accès cette fois-ci à cet intérieur, et c’est à travers l’entourage et les signes qui nous parviennent que l’on parvient à progressivement comprendre où le drame nous emmène. Et les signes deviennent de plus en plus clairs et intenses jusqu’au dénouement, où le père devra faire des choix très difficiles dans des dilemmes qu’aucun parent voudrait jamais être confronté. Ce film est d’une manière un lanceur d’alerte aussi pour les parents, et il parvient à universellement parler à n’importe qui qui s’est déjà trouvé dans la situation de ne pas savoir comment aider quelqu’un en dépression ou qui comprendrait finalement, par la fiction, ce que c’est que d’être dans cette position. On a à nouveau, à la toute fin de ce film, un breakdown psychologique et un enchaînement de séquences à la toute fin qui achèvent le spectateur et pourront difficilement le laisser indifférent.

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Zeller a le mérite d’avoir bâti un nouvel drame psychologique difficile à regarder, certes plus direct dans son approche, certes pas aussi casse-tête que The Father, certes (mais ce n’est pas mon avis) moins convaincant au niveau de l’acting et des personnages sur l’explication des troubles psychologiques qui hantent les personnages. Mais en fin de compte, son achèvement reste tout aussi puissant et profondément déroutant que celui de son premier film, et Florian Zeller ne déçoit pas dans sa capacité à raconter des histoires qui nous évoquent, au fond, notre peur, notre impuissance et notre mal-être à parler de notre vulnérabilité, de nos faiblesses et de notre rapport à la mort. 

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