Cinéma

Pink Flamingos ou quand le trash se fait art

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Savigné-sur-Lathan, Indre et Loire. 12 mars 2022. En plein week-end d’asso les membres de Making Of se rappellent qu’ils forment une association de cinéma ; il est temps d’enfin regarder un film tous ensemble. Ce film, c’est Pink Flamingos de John Waters. Expérience collective plaisante pour certains, traumatisante pour tous, elle n’a laissé personne indifférent. 

Le scenario du film tient pourtant en une phrase : Divine, une drag queen de Baltimore, a la réputation de personne la plus sale de la terre (« filthiest person alive »), et lutte pour la conserver face aux Marbles, un couple de criminels prêts à tout pour obtenir ce titre. A partir de ce synopsis simpliste John Waters nous fait voyager dans un Baltimore étrange, imprégné de la culture queer qu’il partage avec ses acteurs.

Connie Marble : “We’ll see who’s the filthiest person alive! We’ll just see!”

Au premier abord, Pink Flamingos est un film trash, une expérience bizarre qui réussit l’exploit de nous faire ressentir un dégout profond : il n’est pas humainement possible de regarder d’une traite le film sans détourner le regard ne serait-ce qu’un instant. On y voit par exemple une scène de viol avec des poules, une fellation incestueuse ou encore une dégustation des excréments qu’un chien vient de produire (cette dernière scène n’étant d’ailleurs pas simulée) et les plus courageux pourront même se confronter pendant près d’une minute à un « singing asshole » à l’occasion d’un gros plan sur un anus se dilatant comme pour simuler un chant. 

Le spectateur se sent alors challengé, d’autant plus dans le cadre d’un visionnage à plusieurs : il doit prouver aux autres – ou à lui-même – qu’il est capable de supporter le spectacle qu’on lui impose, défi qui devient d’autant plus excitant que les scènes trashs s’enchainent au fur et à mesure que le film avance. John Waters, le réalisateur, joue avec cet aspect dégoutant et s’en félicite, considérant chaque vomi lors d’une projection de Pink Flamingos comme l’équivalent d’une « standing ovation ».

Pink Flamingos remue les tripes, dépasse largement les bornes du politiquement correct et c’est pour cela que l’on s’en souvient, car c’est d’abord une épreuve aux airs de rite initiatique.

Divine : “Kill everyone now! Condone first degree murder! Advocate cannibalism! Eat shit! Filth is my politics! Filth is my life!”

Il serait néanmoins réducteur de penser que Pink Flamingos n’est que cela. Ce sont ces scènes qui choquent dont on se souvient le mieux, et si elles sont parfois douloureuses à voir, elles ne sont jamais gratuites et elles participent de l’ambiance générale du film. En choquant les bonnes mœurs, John Waters nous invite à les repenser ; il n’est pas question de soutenir la fellation incestueuse ou le viol mais plutôt de donner une visibilité aux queers, aux drags, aux trans, aux fétichistes et à tous ceux qui sortent de la norme hétérosexuelle. 

A mon sens tout le message du film repose dans l’opposition entre les Marbles et Divine pour le titre de personne la plus sale : les Marbles comme Divine évoluent hors des bonnes mœurs et ce qui les différencie fondamentalement, c’est la nature de leurs vices. 

Les Marbles sont vicieux par volonté de faire le mal : ils enferment dans leurs caves des jeunes femmes pour les féconder et revendre leurs enfants à des couples de lesbiennes (Pink Flamingos reste vous l’aurez compris une comédie), ils s’adonnent à l’exhibitionnisme, ils violent et ils tuent. Mais en visant l’immoral ils se trompent de cible car Divine est vicieuse par nature : elle est dégoutante malgré elle et ne fait qu’obéir à ses pulsions, aussi repoussants que puissent paraitre ses actes, ils ne sont jamais qu’écarts aux bonnes mœurs ou occasion de ressorts comiques. 

C’est précisément pour cela que Divine est imbattable, parce qu’elle est l’incarnation du « filth ». Divine est bizarre, parfois même repoussante mais elle ne se départ jamais de sa fierté : elle sait où elle va et fait ce qu’elle a à faire sans jamais hésiter, elle est une femme forte et se fait ainsi représentante de la liberté sexuelle du mouvement queer.

The Eggman: “That thin-shelled ovum of the domestic fowl will never be safe as long as there are chicken layin’ and l’m alive because l am your eggman and there ain’t a better one in town!”

Au-delà des Marbles et de Divine, Pink Flamingos est peuplé de personnages étranges en tout genre et nous invite à un voyage dans une Amérique queer fantasmée aux confins des années 70. On y découvre une époque, une culture et surtout un style de vie différent où la liberté est reine. On se plait à observer un fouillis irréel de pulsions sans concessions, à interroger nos interdits et à envier sans se l’avouer la liberté dont jouissent les queers que l’on observe, presque voyeuristes. 

Pink Flamingos est l’occasion de voir autre chose, de se décentrer pour découvrir un univers radicalement différent de celui dont on a l’habitude. Ce n’est bien sûr pas un film des plus grand public mais il vaut la peine que l’on s’y attarde, ne serait-ce qu’au détour d’une soirée entre amis, pour se mettre à l’épreuve et faire, peut-être, l’expérience par procuration d’une liberté qui ne peut que nous être étrangère. 

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