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L’Ordre et la Morale : face à l’inéluctable

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Histoire et cinéma ne font pas tout le temps bon ménage. Il faut dire que l’auteur qui se lance dans le récit d’un événement historique se lance par la même occasion un défi de taille : rendre la réalité, aussi puissante soit-elle, captivante sans trop la dénaturer. Dans L’Ordre et la Morale, son dernier film en date, Mathieu Kassovitz nous relate un pan important et parfois méconnu de l’Histoire de France récente : les événements sanglants de 1988 en Nouvelle-Calédonie, évènements qui ont toujours une importance significative dans la relation qu’entretient l’archipel avec la métropole. Le réalisateur explosif a-t-il réussi son pari ?

1988. Île d’Ouvéa. Nouvelle-Calédonie. Une prise d’otage est en cours : des gendarmes sont retenus par des membres du FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste), menés par Alphonse Dianou. Le GIGN est logiquement mobilisé puisque c’est l’organe chargé d’intervenir sur le territoire national dans ce genre de situation d’urgence. Mais le gouvernement de l’époque, sous la cohabitation Mitterrand-Chirac, décide d’envoyer l’armée, sur décision de Bernard Pons, ministre des départements d’outre-mer. Dans le chaos qui règne alors sur l’île, le capitaine du GIGN Philippe Legorjus, interprété par Kassovitz, va faire tout ce qui est en son pouvoir pour limiter la casse et lutter, tant bien que mal, contre l’inéluctable.

En renouant avec ses premiers amours, le réalisateur français retrouve ici ce qui a toujours fait la force de son cinéma, lorsqu’on lui laisse les mains libres : un message puissant servi par une mise en scène travaillée. Dans son dernier long-métrage, il propose une réflexion sur le rapport de la France à ses territoires ultramarins, sur les méthodes d’action de l’armée française à l’égard de ses propres concitoyens et sur le sens finalement de la mission d’un haut-gradé dans un marasme pareil. A travers le regard purement dépassionné qu’il pose sur les événements d’avril-mai 1988, Kassovitz vise l’exactitude historique, ce dont, à moins d’être un spécialiste, nous ne pouvons être juges, mais qui a le mérite de donner l’impression au spectateur d’être immergé sur l’île au moment de la prise d’otages.

Cette impression est renforcée par la mise en scène de L’Ordre et la Morale, qui donne un rendu presque documentaire par certains moments, mais documentaire de très grande qualité cinématographique. Les ressorts filmiques utilisés, à travers un scénario à la structure assez classique et linéaire, mais qui fait la part belle aux personnages, et par une très bonne direction d’acteurs qui permet à chacun de jouer le plus juste possible, élément essentiel dans un film de ce type. Enfin, au niveau de la réalisation en elle-même, elle est finalement assez typique de son réalisateur. On retrouve quelques gimmicks habituels – plans serrés, caméra portée – et le plan-séquence lors de la scène d’attaque finale cloue le spectateur à son siège tant ce choix renforce la sensation d’appartenir à la scène chez lui. La photographie et la bande originale sont de bonne facture mais peut-être légèrement en-deçà du reste de la proposition, même si cette sobriété se comprend, une exubérance ayant été la malvenue pour servir un script aussi dramatique.

Le long-métrage puise aussi dans l’identité de son auteur et va donc chercher plus loin dans son propos que la simple dénonciation des exactions commises par l’armée française lors de cette prise d’otages. La dimension tragique de la réalité que met en scène Kassovitz interroge sur les méfaits de l’hubris française héritée de la colonisation, qui se trouve à l’origine des atrocités qu’ont pu commettre certains officiers tout au long des guerres d’indépendance et des situations comme celle ici dépeinte. Le cinéma est aussi l’occasion de révéler au spectateur des éléments sur l’Histoire de son propre pays et de le pousser à se questionner inlassablement.

L’Ordre et la Morale est pour l’instant, et à notre grand désespoir, le dernier long-métrage réalisé par Mathieu Kassovitz. Sorti en 2011, mal aimé par une partie de la critique et ignoré par l’académie des Césars, il fera écrire à son réalisateur un tweet désormais célèbre mais supprimé, où il s’en prend sans ambages au cinéma français. Mais réduire le film à ce qui l’entoure serait dommage, tant la proposition est intéressante, ne serait-ce que pour son rapport à la réalité et la qualité de sa mise en scène. Il est de ces films importants qui assument leurs engagements tout en ne déformant la réalité, qualité de plus en plus rare de nos jours. Et la rareté, ça se savoure.

 

Disponible sur Prime Vidéo.

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