CinémaCritiques

Sur le chemin de la rédemption : l’ineffable désespoir du dévot moderne

0

Quelle perspective plus angoissante que l’Apocalypse pour un pasteur calviniste américain ? Comment comprendre que la Terre, création divine, soit sujette à un tel état de déréliction, quand l’on est soi-même, créature de Dieu, déjà tourmenté et torturé de l’intérieur ? De telles interrogations cadencent le visionnage du dernier film en date de Paul Schrader, Sur le chemin de la rédemption, sorti directement en VOD en 2018. Œuvre qui détone, le long-métrage conte le chemin de croix d’un révérend abattu, souffrant et anxieux, qui ne cesse de se débattre dans un ici-bas qui court à sa perte, questionnant inlassablement ce que représente aujourd’hui la foi, la raison, l’amour et la mort et traçant ainsi son propre cheminement à travers une existence emplie d’affliction.

Dans une petite bourgade de l’état de New York, Ernst Toller prêche dans une église bâtie deux ou trois siècles auparavant par des colons néerlandais. Peinant à se remettre de la mort de son fils, cet ancien aumônier de l’armée est rongé intérieurement par ses démons et tente de s’extirper de son désarroi en tenant un journal où il écrit chaque jour les événements de sa journée. Mais, alors qu’il s’entretient avec un activiste écologiste jusqu’au-boutiste, la conscience du désastre climatique qui attend l’humanité germe dans son esprit et finit par s’ajouter à la douleur déjà bien présente en lui. Dès lors, Ernst va sombrer, inexorablement, dans un désespoir chronique qu’il va essayer, autant que faire se peut, de combattre jusqu’à la fin…

Aboutissement de la carrière du cinéaste selon ses propres dires, Sur le chemin de la rédemption se veut être un film clivant, qui laisse volontairement une partie de l’audience en dehors tant les partis-pris de mise en scène et de script sont radicaux. Dès la séquence d’ouverture, le spectateur sait qu’il va avoir affaire pendant près de deux heures à une œuvre originale et iconoclaste qui ne peut laisser indifférent. Le choix du format 4/3 constitue le premier d’une longue série d’idées de mise en forme qui parsèment le métrage, signifiant d’emblée ainsi la liberté qu’a prise Paul Schrader pour relater l’histoire d’apparence anodine de ce pasteur américain. Mais c’est justement dans son scénario, parfois traînant en longueur, que le film puise son inexplicable puissance. Rien d’étonnant quand on sait que le scénariste – qui n’est autre que le réalisateur – a écrit les chefs-d’œuvre incontestables et incontestés que sont Taxi Driver ou Raging Bull. Il renoue justement ici avec une personnalité écrasée, torturée qui n’est pas sans rappeler par certains traits, et même si elle s’en éloigne véritablement au fil de l’histoire, celle de Travis Bickle, héros du célèbre film de Scorsese. Schrader éprouve un profond amour pour ces hommes à qui la vie n’a pas fait de cadeau, vétéran d’une existence qui les a broyés et ne cesse de le faire, alors au moment de réaliser un tel long-métrage, l’ambition de rendre hommage aux damnés de l’Amérique a sans aucun doute animé sa verve créatrice.

Le protagoniste, en sa qualité de révérend de Snowbridge, occupe une place à part dans la communauté de la ville et son envie d’en découdre avec les responsables des malversations de son église va s’accompagner d’un élan collectif dont il sera le porte-parole. C’est précisément dans ces moments d’échange, plus ou moins intimes, avec les autres habitants que le personnage de Toller prend de l’épaisseur et que son alter ego réel Ethan Hawke trouve la justesse parfaite dans un jeu jusqu’alors relativement sobre. Que ce soit dans son rapport ambigu aux femmes ou dans ses discussions avec ses homologues et supérieurs de l’Eglise, le pasteur traîne avec lui, tel un fardeau, une mélancolie intense dont il ne peut se défaire. Jusqu’à ce que la colère et le désespoir kierkegaardien ne finissent par prendre le pas sur la sagesse du fidèle serviteur qu’il est.

Sur le chemin de la rédemption est finalement sans aucun doute l’une des œuvres les plus puissantes d’un auteur qui parvient à imposer sa vision et à donner une couleur si particulière à un film qui aurait pu être ordinaire. Inexplicablement absent des salles obscures lors de sa sortie et directement disponible en VOD, le long-métrage à l’imagerie indie, avec une indéniable volonté de sortir des sentiers battus qui pourrait passer pour de la fatuité malvenue, donne à voir une tranche de vie, une séquence de l’existence de Ernst Toller, pasteur déprimé et condamné de l’Amérique contemporaine, qui consiste simplement à lutter. Contre ses démons. Contre la désastreuse marche du monde.

 

Disponible sur Netflix.

7

Connaissez-vous Kieślowski ?

Previous article

Académie Ciné-Séries 2020/2021 HEC

Next article

Comments

Comments are closed.

Login/Sign up