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Haute couture et prêt-à-porter : impossible mariage ?

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Les documentaires Dior et moi (2014) et Pierre Cardin (2019) illustrent la relation conflictuelle qu’ont depuis longtemps prêt-à-porter et haute couture. Deux spécialités qui ont encore parfois du mal à coexister comme le montrent ces deux films.

 

Dans Pierre Cardin, le réalisateur Frédéric Tcheng revient sur la très célèbre maison française Pierre Cardin et nous dévoile les dessous de l’empire qu’a bâti cet homme qui incarne parfaitement la tradition du self-made man et qui continue d’inspirer dans le monde entier. Quand Cardin décida d’abandonner peu à peu la haute couture pour le prêt-à-porter cela fit grand bruit et il fut exclut des défilés parisiens et du syndicat des grands couturiers. Ce changement stratégique fut notamment la raison de sa brouille avec son ami Yves Saint-Laurent. Le documentaire a une force particulière car il s’appuie sur les propos et anecdotes de Pierre Cardin lui-même. De plus, on se rend compte que les choix de Pierre Cardin permettant de désacraliser la mode ont été cruciaux pour le développement de la mode actuelle qui doit, selon lui, plus s’attarder sur l’idée que sur la conception. Dans sa logique, la haute couture embauche certes beaucoup de monde, permet à des « petites mains » d’exprimer leurs talents mais, in fine, on peut ne pas aimer une robe de haute couture non pas parce qu’elle n’est pas bien faite mais parce qu’elle n’est pas à notre goût.

C’est ainsi que Cardin introduisit le primat du concept dans la mode et s’y tint par la suite en l’étendant au design de meubles. Dans un secteur comme dans l’autre, les entretiens avec Jean-Paul Gaultier et Philippe Starck sont très parlants et révélateurs de l’homme visionnaire qu’est Pierre Cardin. Le réalisateur de ce documentaire s’appuie donc sur des invités de qualité afin de nous montrer que ce pape de la création française est un visionnaire qui influence les designers d’aujourd’hui et inspirera les stylistes de demain. Si le documentaire est assez élogieux ce n’est pas non plus un éloge panégyrique car les choix de Pierre Cardin sont discutés et analysés. Sa décision la plus discutable a été de faire de son nom une marque dont il a attribué plus de 700 licences dans le monde ce qui fait qu’aujourd’hui à peu près tous les objets peuvent être griffés du nom du créateur français. Cela a permis à Pierre Cardin de devenir un des Français les plus connus dans le monde mais cela a aussi fait perdre de la valeur à ses créations.

 

Dior et moi est certainement un documentaire plus intéressant car il est moins rétrospectif et capture un court moment d’effervescence : l’arrivée du styliste Raf Simons à Dior seulement 8 semaines avant la fashion week de Paris, laps de temps durant lequel il doit concevoir une toute nouvelle collection à présenter pour le défilé de la marque. Directeur de sa propre marque et précédemment directeur artistique de la marque de prêt-à-porter Jil Sander, il se retrouve propulsé dans le monde de la haute couture dans lequel il n’a que peu d’expérience. En faisant intervenir directement les couturières de Dior, le documentaire gagne en authenticité car elles critiquent à demi-mot Raf Simons pour son inexpérience et pour son style qui, selon certaines, ne conviendrait pas à l’esprit Dior.

En effet Raf Simons, de par la marque qui porte son nom ou bien par ses années passées comme directeur artistique de Jil Sander, a pu réaliser des vêtements minimalistes qui ne collent pas exactement à l’ADN du New Look de Christian Dior. Contrairement au documentaire de Pierre Cardin qui nous montre une vision du passé, Dior et moi nous permet de comprendre comment se passe la vie à l’intérieur des ateliers de haute couture où les couturiers et couturières ont un rôle très important et sont considérés, à juste titre, comme dépositaires d’un savoir unique et irremplaçable.

 

De ces deux documentaires transparaît donc la relation conflictuelle entre ces deux pendants de la mode qui incarnent deux visions d’un commerce : une qui cherche la rentabilité et l’autre qui met en avant les vertus du savoir-faire. Ces deux films ont donc le mérite de nous faire pénétrer dans un univers par deux prismes différents qui participent néanmoins au même art et qui se complètent pour faire ce qu’il est aujourd’hui.

 

Dior et moi, 2014, de Frédéric Tcheng. Disponible sur MUBI.

Pierre Cardin, 2019, de Todd Hugues et P.David Ebersole. Disponible sur MyCanal.

Mathieu Bonnet
Rédacteur en chef de la Cinemat'HEC pour l'année 2020-2021.

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