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A tale of five boroughs

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Une ville ou cinq villes ? Cinq quartiers ou une ville ? Cinq villes et des milliers de quartiers ? New York est une pléiade de d’endroits et de mondes, mille et un visages qui se présentent au visiteur comme à l’autochtone, dans un tout désordonné mais riche de toutes ces facettes. Parler de New York au cinéma, d’une ville au cinéma, c’est omettre les New York au profit de New York, par facilité et paresse d’écriture.
Faute avouée, à moitié pardonnée, et à défaut d’arpenter cinématographiquement chacune de ses rues, de ses places ou de ses avenues, il est temps d’en faire le tour, borough par borough, Manhattan, Brooklyn, le Queens, le Bronx et Staten Island pour les intimes.

Comme une ouverture sous forme de déambulation semi-littéraire, entre noir et blanc et réécriture, Manhattan s’ouvre dans un New-York au portrait vivace. Au paroxysme du chic nord-américain, derrière la caméra du plus Upper East Side des réalisateurs que la Terre ait porté, Manhattan s’y dévoile en buildings élancés ou restaurants dans lesquels se retrouvent des Gothamites non moins élancés.
Manhattan s’évertue à placer New-York au firmament des sphères intellectuelles, là où Diane Keaton converse de Bergman et la fille d’Ernest Hemingway s’entiche d’un comique devenu romancier, dans un esprit que l’on attendrait plus d’un récit romantique des errances montmartroises pendant les années folles, que Woody Allen mettra en scène beaucoup plus tard dans sa carrière.
De ce ton somme toute très inhabituel dans la mise en scène de New-York naît un charme humaniste et une douceur aux antipodes du tumulte ambiant tant et tant vu. Manhattan touche à l’intime, n’en déplaise aux tentatives inaugurales du protagoniste de la présenter avec toute sa superbe.

Dans l’intime du rapport à un lieu s’ajoute l’intime des relations humaines qui peuplent ces lieux. Et si le Queens ne trône pas au sommet des rendez-vous pour touristes d’outre-Atlantique et d’ailleurs, il est le théâtre dans Queens Logic, réalisé par Steve Rash, de ces nœuds qu’on lie et qu’on délie, et qui demeurent plus que tout au cœur des personnages.
Queens Logic fait du borough le havre de paix, par opposition aux aventures californiennes d’un Kevin Bacon à l’air déconfit, ou aux dilemmes sentimentaux qui parcourent les protagonistes. Et si le long-métrage s’évertue à faire de ses personnages le vaste mélange d’une famille officieuse, le Queens y devient naturellement un foyer symbolique, lieu des repères et des certitudes, dans une envie quasi-enfantine de prouver au monde que l’on a bien fait d’y rester.

Par opposition à cette fierté arborée avec une certaine malice, Brooklyn se transforme derrière la caméra d’Edward Norton en symbole du traumatisme, signifié en un nom, Motherless Brooklyn et des déambulations froides dans les brownstones pourtant si vivaces chez son compères Spike Lee. Motherless Brooklyn illustre une mentalité, la dureté d’une vision du monde malgré la douceur de ses personnages, dans une tentative néo-noire de réactualiser l’âme d’un quartier des années 1950.
Dans un contrepied total à l’image du borough branché qu’il est devenu aujourd’hui, Edward Norton met en scène des silences pesants, une forme d’incompréhension mâtinée d’un certain rapport au déclassement. Brooklyn y est à la merci des politiciens véreux et des magouilleurs en tous genres, semi-ruine attendant d’être remplacée par les rubans d’asphaltes et les cimes vertes des parcs remplaçant ceux qui habitaient ici.
Brooklyn n’est pas devenu ce qu’il aurait pu être et partout encore demeurent les traces de ce que les protagonistes de Motherless Brooklyn essayaient de protéger.

Ce regard sur le passé de lieux dont subsistent aujourd’hui ou non les traces parcoure le spectateur qui au hasard de ses choix mettrait la main sur Fort Apache, The Bronx, réalisé par Daniel Petrie. Et si les fantasmes du chaos ne correspondent aujourd’hui plus à la réalité de terrain, le long-métrage sorti en 1981 y montre une zone de guerre, tant le Bronx n’y est que gravats, destruction, crime, désordre, prostitution et autres réjouissances.
De ce dépotoir à ciel ouvert où sont remisés les pires éléments du célèbre N.Y.P.D. provient néanmoins un questionnement moral sur l’ordre et son maintien, sur les raisons qui motivent policiers et habitants à s’abandonner à ce qui ressemble à une transe hors du temps et de l’espace, dans la crasse des rues ou des substances prohibées.
Malgré son encart inaugural, Fort Apache, The Bronx ne laisse rien à l’optimisme, si ce n’est un certain sens de la droiture, comme un immeuble abandonné tenant encore debout au milieu des décombres d’une apocalypse new-yorkaise.

Que reste-t-il alors des illusions perdues de ces oubliés de New-York, de ces inadaptés au rêve que peignait Woody Allen ? Une forme d’espoir de se trouver et de se révéler peut-être.
The King of Staten Island, récit semi-autobiographique de la jeunesse de Pete Davidson, comédien du mythique Saturday Night Live et remplaçant de Kanye West dans les bras de Kim Kardashian, réalisé par Judd Apatow, présente une voie à travers un personnage, et à travers cette voie les aspirations du plus oublié des boroughs à une reconnaissance.
Staten Island y tranche certes avec ses maisons, ses plages et ses terrains vagues que seuls les sommets des lointains gratte-ciels relient à New-York, mais à la confluence de l’esprit de Queens Logic et de Motherless Brooklyn, c’est un borough qui s’y révèle, porté à l’écran par l’humanité d’un Pete Davidson remarquable.
Au contraire de l’approche larger than life que si souvent on associe à New-York, là encore, The King of Staten Island replace les enjeux d’une ville à taille humaine, en quelques lieux et un ferry qui rappelle que les différents mondes ne sont pas si éloignés les uns des autres.

De cette escapade en cinq films, beaucoup de choses restent encore à dire et à signifier sur chacun des endroits qui font New-York, de leurs états d’esprit propres, de leur énergie, de leur passion et des visions qu’ils reflètent, vision d’artiste ou vision d’habitant.
Mais touchant du doigt les limites d’une approche exhaustive, ces cinq regards livrent une leçon. Leçon quant à la multiplicité des points de vue et des imaginaires, leçon quant à la force des évocations en quelques lieux symboliques, un pont, un commissariat de police, un banc, une rue ou une caserne, leçon quant à l’anodin au milieu d’une ville portée aux nues pour l’extraordinaire qu’elle représente.
Et si la preuve que New-York peut se présenter sans fard au spectateur des salles obscures n’est plus à produire, il peut être bon de rappeler qu’une fois que le rêve se transforme en réalité, c’est de la beauté de ces choses intimes que se nourrit un certain esprit new-yorkais.

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