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Blow the Man Down: « How deep does duty go?”

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Dans une petite ville du Maine, deux sœurs enterrent leur mère, devenant ainsi orphelines. Le soir même, l’une d’elles subit une tentative de viol et tue son agresseur. Pour la protéger, sa sœur décide de l’aider à maquiller le meurtre. Ce crime les entraîne dans les méandres de la face cachée de la ville : assassinats, prostitution, règlements de compte, un monde dont elles vont désespérément essayer de s’extraire.

Bridget Savage Cole et Danielle Krudy écrivent et réalisent leur premier long métrage, s’interrogeant à la fois sur le sens du devoir et sur les apparences. Les deux sœurs se soutiennent ; mais entre la peur d’être confondues pour leur meurtre et le danger qui les encercle progressivement alors qu’elles découvrent les bas-fonds de la ville, jusqu’où iront-elles par amour pour l’autre ? Cette réflexion s’étend à l’ensemble des relations entre les personnages, à la fois l’amour que leur portait leur défunte mère et ses amies, qu’à l’affection entre plusieurs filles victimes d’un réseau de prostitution. Les personnages s’aiment et se protègent, cependant cet amour sera mis à rude épreuve par les événements auxquels ils vont devoir faire face. Les réalisatrices traitent de l’amour dans toutes ses nuances, y compris lorsque cela implique de protéger ceux qu’on aime au détriment d’autrui, offrant ainsi un réel débat moral.

Le film joue sur les apparences. Les réalisatrices ont en effet déclaré : “we always cared about underestimated women” (“Nous avons toujours été concernées par les femmes mésestimées”). Le film a beau traiter de  crime organisé, les protagonistes impliqués sont deux jeunes sœurs désormais orphelines, et quatre grands-mères qui ont pour habitude de préparer des tartes aux cerises à leurs petits-enfants ; on est loin des clichés habituels du caïd. Le film ne cesse de jouer sur le décalage entre nos attentes liées à ce que dégagent les personnages et ce qu’ils sont réellement capables de faire par amour. Les jeunes cinéastes utilisent la métaphore de la mer qui recouvre et dévoile les rochers au gré de la marée pour exprimer cette idée des apparences cachées qui se dévoilent, rythmant ainsi le film par des plans purement symboliques et accentuant cette idée du piège qui se referme inéluctablement. Le renversement des apparences ne sonne pas une seule fois faux, les personnages sont écrits avec cohérence et jouent avec l’image qu’ils renvoient. Le film renverse ainsi les archétypes traditionnels des malfrats, et met les femmes à l’honneur, les seuls personnages masculins impliqués sont en effet systématiquement battus ou bernés par des femmes.

Le rythme de ce thriller est plutôt juste, sachant faire monter et descendre la tension au bon moment tout en donnant l’impression que le danger est constamment là, en filigrane.  Cette tension omniprésente est aussi portée par une bande originale (signée Brian McOmber et Jordan Dykstra) qui consiste en quelques notes répétitives alternant entre le grave et l’aïgue. Au rythme de ce métronome, le temps, avant que la vérité n’éclate, semble compté.

Le film est porté par un casting au sommet. Les deux sœurs sont à la fois diamétralement opposées et complémentaires. La fougue et la jeunesse de la cadette se heurtent au calme froid de l’aînée traduisant le conflit entre une envie de révolte, de quitter cette ville et la résignation d’y rester, faute d’alternative. Les autres actrices incarnent leurs rôles à la perfection : mention spéciale pour Margo Martindale qui sublime son rôle de femme dangereusement puissante.

Ce premier film est cependant loin d’être exempt de défauts. Ainsi, bien que les deux réalisatrices aient affirmé vouloir lui donner une dimension comique, il s’approche bien plus du thriller que de la comédie noire. Les tentatives d’humour sont trop peu présentes, le ton général du film ne prête pas au rire, leur intention de réalisation est ici complètement un échec. La scène d’introduction nous en donne un bon exemple. Elle donne à voir des choeurs de marins dont des plans sont insérés au cours de l’action, à la manière d’une comédie musicale. Cette scène, qui revient plus tard dans le film, semble vouloir apporter un élément comique mais n’obtient pas l’effet escompté et détonne complètement au vu du ton général.

On pourra également déplorer une utilisation maladroite du cadre… L’histoire a lieu en hiver dans le Maine et la photographie est magnifique, parfaitement à propos : les plans ont une tonalité de bleu pour transmettre un sentiment paisible, la neige blanche évoque l’innocence apparente. Bien que visuellement exploité, le port, lieu fondamental,semble presque absent de l’histoire La pêche devrait être un élément central, essentiel de la vie du village, cependant il n’est que peu ou pas, évoqué.

On regrettera enfin les quelques facilités scénaristiques et le recours à des mécanismes de narration bien trop utilisés. A titre d’exemple, le sentiment d’enfermement et de piège auquel font face les deux héroïnes est atténué par la justification de leur acte initial. On comprend en effet difficilement pourquoi elles tentent de maquiller le meurtre au lieu de se rendre à la police et de plaider la légitime défense.

 

Les deux écrivaines-réalisatrices signent ainsi un premier film convaincant. Malgré quelques maladresses, ce thriller est parfaitement mené dans une tension omniprésente, servi par un casting parfaitement juste et une bande son angoissante. Laissez-vous berner par les apparences, et voyez jusqu’où l’amour peut vous pousser.

Blow the Man Down, de Bridget Savage Cole et Danielle Krudy. Avec Margo Martindale, Morgan Saylor, Sophie Lowe. Sortie le 20/03/2020

Disponible sur Amazon Prime Video

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