Cinéma

Eiffel : Bourboulon ou le guignol du 7ème art

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Lorsque l’on sait que Bourboulon fut un jour réalisateur pour les guignols de l’info, force est de constater qu’il n’est pas chose aisée de devenir cinéaste. Les amateurs de cinéma peu difficiles comme moi sont bien souvent étrangers à ce sentiment d’avoir perdu leur temps face à un film. Nous ressortons en général tout au plus en haussant les épaules, arborant une mine neutre et laissant s’échapper de nos lèvres un « c’était divertissant ».  Alors quelle ne fut pas ma stupeur lorsque je me surpris à proférer contre la pseudo-œuvre qu’est Eiffel des critiques cinglantes. Et ma surprise de redoubler lorsque j’apprends fin 2021 que le film est classé parmi les meilleures œuvres selon UGC et récompensé de trois césars.

Grande romantique et patriote que je suis, je m’attendais à trouver là le film de l’année : une histoire qui me fasse ressortir de la salle larmoyante, une histoire fédératrice autour de ce beau monument qu’est la tour Eiffel. J’en suis ressortie déçue et même frustrée par cette impression que le sujet principal du film a été manqué. Et la réelle pénurie de plans de la tour en construction ne témoignera certainement pas du contraire. Centrer un film inspiré de faits réels autour d’une simple histoire d’amour est périlleux et déçoit, sans surprise, ceux qui s’attendent à un vrai biopic. En bref, ce que Titanic a su faire, Eiffel ne l’a pas su.

Le long-métrage est l’allégorie même du « cringe » et rarement – si ce n’est jamais – je n’ai ressenti un tel embarras face à une œuvre du 7ème art. Le sentiment qui lie les deux personnages dépasse largement le passionnel pour s’engouffrer dans la pure irrationalité : c’est une histoire d’amour « gnan gnan », sans fondement si ce n’est le désir de s’obstiner. Un frisson de malaise me parcourait l’échine chaque fois que les deux acteurs interagissaient : peut-être les 24 ans d’écart ou simplement la malsanité de leurs interactions sont-ils l’origine d’une telle émotion.

Il me faut admettre qu’au milieu de ce qui me semble être une histoire d’amour toxique, une (seule) scène attendrissante a su parvenir jusqu’au montage final : celle de l’annulation du mariage, qui a fait mon cœur se serrer.

Et si seulement les défaillances de l’intrigue s’arrêtaient là. Malheureusement (ou heureusement peut être), toute une partie du scénario semble, en cours de route, oubliée par les scénaristes eux-mêmes. Il est par exemple question d’un mariage qui n’a jamais lieu, alors même que celui-ci aurait pu clôturer le film, d’une façon certes banale, mais dans la lignée de ce qui a été proposé tout du long.

D’autant plus que la résolution de l’intrigue principale concernant la tour – ou ce qui aurait dû être l’intrigue principale – est fort insatisfaisante. La promesse finale d’Eiffel de doubler les salaires pour calmer les agitations est présentée comme l’idée du siècle quand en vérité, elle s’apparente bien plus à une manne tombée du ciel.

A l’exception de quelques paroles émouvantes et dignes d’un film d’une telle ampleur ainsi que d’un tel casting, la majorité des dialogues est ennuyeuse, reflets du vide intersidéral qui lie les deux amants. Le personnage d’Eiffel semble sortir tout droit d’une formation de positive management douteuse, criant haut et fort un enthousiasme que probablement aucun des travailleurs de son chantier ne partage.

Romain Duris fait d’ailleurs preuve d’une platitude de jeu remarquable. Celui qui m’avait tant plu dans De battre mon cœur s’est arrêté ou plus récemment dans En attendant Bojangles s’est ici perdu. A croire que le meilleur des acteurs ne pourra jamais sauver le pire des scénarios.

L’actrice de Sex Education n’aura pas su non plus conquérir mon cœur. Mais peut-être n’est-ce pas tant la faute de son jeu que celui de la piètre écriture du personnage qu’elle incarne. Vacillante de femme fatale à femme étrangement psychologiquement faible, le personnage d’Adrienne est déroutant, pour ne pas dire incohérent.

Enfin, tout ceci est sans compter l’intervention de certains acteurs secondaires à l’intérêt limité. Je pense au personnage du beau fils, sûrement pensé comme un “comic relief” mais qui se trouve, au choix, inutile ou sous-exploité.

Au-delà même des déboires du scénario et des acteurs, la réalisation peine à satisfaire. La plupart des séquences manque follement de créativité, voire sont mal filmées. Seules deux scènes, sur 1h50 de film, ont su sortir du lot : celle de la fuite d’Adrienne, dont le dynamisme a su être transparaître dans les mouvements de la caméra, et celle de la construction de la Tour Eiffel – comme quoi, peut être aurait-ce dû vraiment être le cœur du long-métrage.

Reconnaissons à l’œuvre ses points positifs – bien que ceux-ci ne soient qu’au nombre de deux. Je suis d’abord forcée d’admettre le frisson de satisfaction qui m’a parcourue devant une magnifique scène de fin. La scène finale m’a émue et m’a rappelée comme j’ai tenu pour acquis ce monument bien trop souvent. Enfin, il faut concéder que les césars décernés au film sont pour la majorité d’entre eux mérités, puisqu’en somme, costumes et décors sont peut-être tout ce qui sauve cette banale comédie romantique.

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