Cinéma

Cry Macho, le crépuscule

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En voyant The Mule arriver sur nos écrans, on aurait pu penser que Clint Eastwood signait là son départ à la retraite… Mais non ! Il a voulu faire un dernier de chez dernier adieu à l’écran : trois ans plus tard, Eastwood réapparaît dans Cry Macho, sorti le 10 novembre 2021. 1h44 et 33 millions de dollars plus tard, cet allongement épiloguesque en valait-il la peine ?

Fans d’Eastwood, si vous êtes fâchés contre le temps à l’idée de voir votre réalisateur / acteur préféré vieillir, il est grand temps de faire le deuil. Et dans ce cas, peut-être que Cry Macho est exactement ce qu’il vous faut. Ni génial ni catastrophique, on sort de la salle en se disant que Eastwood a fait beaucoup de belles choses avant, on ne lui en veut pas, et en même temps on se dit que ce n’est pas plus mal s’il s’en tient là, on a presque peur de ce à quoi pourrait ressembler le prochain film. Finalement, toutes les bonnes choses ont une fin, ou doivent en avoir une du moins.

Difficile pour un nonagénaire de jouer les durs dans un western haletant comme Le Bon, la Bête et le Truand, ou même de jouer l’homme mûr, endurci par la vie, dans un drame social à suspense, comme Gran Torino. Clint n’est plus le même : il n’incarne plus la solidité écrasante du battant ; la force brute du cow-boy, du guerrier, du vétéran, ayant traversé la vie avec sang-froid, a fini par lui glisser entre les doigts. La vulnérabilité commence à poindre, même sur le visage intemporel de ce héros national. Dès la première scène, d’ailleurs, Mike Milo est présenté comme un ex-champion, un athlète du passé ayant connu un grave accident, condamné à l’impotence depuis. On peut difficilement faire un parallèle plus patent. « I used to be a lot of things – but I’m not now » dit-il de ses propres mots. De la star du western des années 1950, il ne reste en effet pas grand-chose, si ce n’est ce regard perçant ; mais là où le jeune Clint scrutait l’horizon à la recherche des premières lueurs du matin, le Mike Milo de Cry Macho contemple désormais le jour qui baisse.

Cependant, n’allons pas trop vite en besogne. Si Eastwood est ici obligé de quitter ses terrains de jeux habituels, il n’en oublie pas pour autant ses quelques marques de fabrique qui le caractérisent si immanquablement : plus de grandes scènes de bagarres à l’ancienne mais toujours les mêmes paysages secs et hostiles (qu’ils soient urbains ou désertiques), plus d’effet thriller absorbant mais toujours une monture étincelante (qu’il s’agisse d’une belle voiture ou d’un bel étalon), plus de violence crue mais toujours ce thème de la rencontre, humaine et profonde.

Dans le cas de Cry Macho, cette rencontre humaine et profonde a lieu entre un vieil homme et un enfant. Ce n’est pas la première fois que Eastwood joue du contraste entre vieillesse et jeunesse mais cette fois-ci la différence d’âge n’a jamais été aussi grande. Là où Eastwood avait un rôle de coach vis-à-vis de la jeune femme Maggie dans Million Dollar Baby, ou un regard paternel vis-à-vis de l’adolescent Thao dans Gran Torino, Mike Milo devient comme le grand-père de Rafael dans Cry Macho. Les relations dépeintes par Eastwood sont des liens forts, tissés dans les épreuves et le sang, où le fort protège le faible et l’éduque avec exigence pour bâtir un adulte à partir du jeune chétif et sans défense qui lui est confié à l’aune du film. Dans Cry Macho, ces sujets-là sont bien présents mais ils laissent la place centrale à la thématique de la transmission, voire au symbole de la relève, comme si grand-père Eastwood refermait finalement le livre d’histoires après des années à nous bercer et à nous faire grandir, pour nous laisser enfin écrire la nôtre. C’est surprenant, mais à la fois touchant, de voir un monument du western se transformer en père Castor. Cela dit, si Edouardo Minett reste convaincant dans une certaine mesure, son jeu n’est malheureusement pas à la hauteur de celui du monstre sacré qui lui sert d’acolyte. Au sujet de ce dernier, il est indéniable que ce film ne représente pas pour lui sa meilleure performance. Certaines scènes manquent de crédibilité, celle où il donne un coup de poing à un homme de la moitié de son âge et réussit à l’intimider par exemple, ou encore celle où une femme d’une quarantaine d’années, charmée, l’invite à passer la nuit avec elle. Toutefois, malgré la déception que nous pouvons ressentir face à ces scènes peu réalistes, on peut pardonner à Eastwood de ne pas avoir voulu abandonner entièrement et intégralement le personnage qui lui a valu son succès. Une transformation trop radicale eût même été incohérente.

Par ailleurs, la notion de la virilité à la hollywoodienne, qui a longtemps pu être associée (de manière parfois caricaturale) à Eastwood, est ici remise en question et retravaillée. Pour la première fois, on voit Eastwood tomber doucement amoureux, on le voit marcher d’un pas lent et hésitant, on entend sa voix fatiguée chevroter par moments. Choisir de se remettre en scène (ou en selle) à son âge n’est pas anodin : il aurait pu tenter de cacher sa vulnérabilité et sa vieillesse mais au contraire, il veut nous l’exposer et nous mettre ainsi en face de la finitude de tout un chacun. Personne n’échappe au temps, même les légendes. C’est dit dans le titre me direz-vous : quoi de plus explicite que « Cry Macho » pour inviter les hommes les plus solides, toujours cachés derrière leur force et leur impassibilité, à baisser les armes pour pleurer enfin ? Le coq qui accompagne nos deux compères tout au long du voyage est l’allégorie même de la virilité. Son nom l’indique on ne peut plus clairement, « macho » signifiant « mâle », « viril ». Le jeune Rafael paraît obnubilé par l’idée de force brute et de masculinité radicale, cherchant à s’en faire une armure pour se protéger suite à une enfance difficile, abandonné par son père et sa mère. C’est là où le vieux Clint intervient, donnant des leçons de vie à Rafael et à nous tous, prononçant des vérités certes simples mais efficaces, surtout sortant de sa bouche : « This macho thing is overrated, just people trying to be machos to show that they’ve got grip. That’s about all they end up with. » En somme, Eastwood ne nous livre pas un manifeste révolutionnaire au sujet de la virilité telle qu’elle est traditionnellement représentée au cinéma, mais clore son œuvre cinématographique sur une telle rétrospection reste piquant, de quoi nous mettre un petit sourire en coin.

En termes de rythme, Cry Macho est donc plus doux, plus engourdi aussi peut-être. Il semblerait presque que Eastwood voudrait nous emmener avec lui dans sa maison de campagne, perdu au fin fond du désert américain, pour y passer ses derniers jours dans le silence de la nature, soleil couchant à l’horizon, mustangs galopant librement parmi les rayons faiblissants. Dans ce retour au désert presque trop cliché, Cry Macho semble un retour aux origines, voire aux sources (arides du coup). Eastwood revient sur la même scène qui l’a propulsé jusqu’à devenir un cinéaste d’envergure mondiale. Il finit ainsi par là où il a commencé, la boucle est bouclée, les adieux sont faits.

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