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Once upon a time… in Hollywood – California Dreamin’

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Alors que Disney vient d’annoncer avec fierté la production à venir d’une trentaine de films Marvel, Star Wars et autres joyeuseries, tandis que Warner signe tout aussi fièrement un accord de diffusion avec HBO Max, autant le dire franchement : tout cela fait un petit peu peur. Il est alors de bon ton de regretter le cinéma d’antan, de s’y référer aujourd’hui plus ou moins grossièrement. Certains choisissent de verser dans l’apitoiement tristement sérieux (bonjour Joker), d’autres s’enfoncent dans un cynisme plat et sans envergure (bonjour Mank). On reconnaît là le propre des conteurs médiocres que de sombrer dans la lourdeur. Mais Tarantino n’est pas du même monde, et son Once upon a time in Hollywood… tutoie les grandeurs. Lui qui sait toute la force et la beauté du cinéma, il fait le choix de la révérence gracieuse aux souvenirs, non pour regretter platement, mais pour nous dire avec tendresse : on peut encore y croire. 

N’y allons pas par quatre chemins : c’est un très grand film, peut-être l’œuvre maîtresse d’un cinéaste n’ayant plus rien à prouver, prêt à tout pour faire, purement et simplement,  du cinéma. Mais attention, il s’agit aussi probablement de l’œuvre la moins abordable de son auteur. Certains diront, un petit peu hâtivement : “Mais il se passe rien pendant 2h30”. Pour le fan invétéré du film que je suis, dans ce genre de situations, il ne faut surtout pas perdre son sang-froid : je répondrais donc calmement à ceux-là qu’ils n’ont juste rien compris au film. Il ne s’agit pas ici de raconter une simple histoire,  mais de se laisser emporter sereinement dans le Hollywood de 1969, aux côtés de Rick Dalton et Cliff Booth, avec en toile de fond (très lointaine) l’assassinat de Sharon Tate par la secte de Charles Manson. 

Ce qui frappe directement, c’est l’aspect crépusculaire de l’ouvrage, Tarantino replongeant avant tout dans ses propres souvenirs, lui-même un enfant de cet Hollywood. Le film est donc constamment infusé d’une mélancolie peu commune chez Tarantino (à l’exception de Jackie Brown, déjà très sensible au vieillissement de ses personnages). Mélancolie douce, tranquille, qui porte avec délicatesse le spectateur comme les personnages, au lieu de les enfoncer à grands renforts de violons assourdissants. La reconstitution de cet Hollywood n’en devient que plus vraie. Il suffit de quelques plans sur Brad Pitt écumant les boulevards dans sa décapotable sous la lumière californienne pour se souvenir de ce temps d’insouciance, alors-même qu’on ne l’a pas connu. Rien que l’allumage de quelques néons avant la nuit, au son légèrement triste du Out of time des Rolling Stones,  et c’est tout un imaginaire, toute une époque qui resurgit. C’est avant tout cela qu’offre le film : le délice d’une atmosphère qui se déploie tranquillement, d’une mise en scène qui respire et ne vit que pour le cinéma. Cadrages, lumières, mouvements… ce n’est pas seulement de la maîtrise ou de la virtuosité, c’est par-dessus tout un amour inépuisable pour le cinéma. 

Pour revenir au duo principal du film, il est d’ores et déjà iconique. Leonardo DiCaprio, comme à son habitude, est sublime. Mais ici, c’est dans son effacement qu’il excelle, car il est vrai qu’il laisse la part belle au véritable homme du film : Brad Pitt. Cliff Booth, fantasme ultime de cinéma, semble porter sur ses épaules toute la mythologie américaine, promenant sa décapotable entre Hollywood et le ranch de la Famille Manson. C’est probablement le rôle d’une vie pour un acteur qui jamais ne parut si charismatique. Pouvoir alors assister à ces quelques bribes de relation est un privilège. Autre personnage capital, bien qu’il apparaisse peu à l’écran, celui de Sharon Tate, incarné par la lumineuse Margot Robbie. C’est le rayon de soleil du film, celui qui traverse l’œuvre en nous montrant ce qu’était Hollywood en ce temps-là : de l’insouciance et encore de l’insouciance, à laquelle Charles Manson viendra mettre un terme dans la nuit du 9 août 1969. Car cette tragédie n’est pas seulement celle de Sharon Tate, c’est elle qui fera basculer Hollywood dans un versant beaucoup plus sombre, dont témoignera l’émergence du Nouvel Hollywood.

D’où l’importance de la fin, que je vais aborder maintenant. Spoilers en vue.

Disons-le simplement : c’est le plus beau final de Tarantino. Tout le film n’étant qu’une lutte entre la fiction et la réalité, il acte du triomphe du cinéma, de sa pleine puissance. Car c’est le cinéma qui sauve Sharon Tate. C’est le cinéma qui nous laisse croire, ne serait-ce que le temps d’un film, que tout ceci ne s’est jamais produit, que les hippies sont allés déranger la mauvaise personne, et qu’ils ont fini dévorés par un chien, la face éclatée contre divers supports ou encore cramés au lance-flammes. Tout cela existe maintenant, rien que le temps d’un film peut-être, dans un monde à côté, mais cela existe. C’est pourquoi le plan final est sublime. Tarantino délaisse une fois pour toute la “vraie histoire”. Cette histoire ne l’intéresse pas, elle ne l’a jamais intéressé. Tout ce qui le préoccupe, c’est cette réalité plus douce, celle du cinéma. Ainsi, la caméra se déporte et nous laisse avec un « happy-end », Sharon Tate prenant dans ses bras Rick Dalton qui lui aussi, le temps d’un film seulement, est redevenu un héros. Hélas, les personnages sortent du champ et nous laissent seuls, au pied de la porte du drame qui, une fois l’écran éteint, est redevenu notre réalité.

Tout ceci m’amène à penser que ce pourrait bien être le dernier film de Tarantino. Quand bien même il répète à qui veut l’entendre qu’il lui en reste encore un, celui-ci ferait une merveilleuse révérence, de par sa puissance créatrice, mais aussi et surtout de par sa beauté. Il était une fois à Hollywood, nous dit-on, mais il faut lire : Il était une foi en Hollywood. Partout, tout le temps, chaque image de chaque mouvement témoigne de cette foi, de cette croyance irrésolue que le cinéma peut tout changer, et notamment la vie de ceux qui l’aiment. 

Ainsi donc se termine cette chevauchée fantastique avec Tarantino. Et si tout cela ne fut qu’une balade mélancolique au pays du cinéma, sa beauté calme et sereine vaut le détour. Dream on…

10

Luca Mongai
Rédacteur en chef de la Cinémat'HEC pour l'année 2021-2022.

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