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Sons of Denmark : radioscopie d’un pays en ébullition

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Rien n’est plus angoissant pour une société que d’être confrontée à ses propres démons. Ulaa Salim l’a bien compris et use justement de ce ressort psychologique pour conférer à son dernier long-métrage une atmosphère particulièrement anxiogène, qui rappelle à de nombreux égards le climat de nos sociétés européennes contemporaines. Sur fond d’état d’urgence et de tensions sociales, il signe avec Sons of Denmark une fable puissante, terriblement d’actualité, qui invite le spectateur à s’interroger sur ce qui le menace directement, tout en répondant aux exigences du thriller moderne.

Copenhague, 2025. Un an après un attentat à la bombe causant la mort de vingt-trois personnes, la société danoise est en proie à de violents troubles sociaux. Le peuple est divisé : l’organisation identitaire proactive “Les fils du Danemark” multiplie les exactions contre les populations d’origine étrangère, les cellules terroristes continuent de s’enraciner et entre ces deux extrêmes, la majorité des citoyens constitue une masse silencieuse. Dans un contexte aussi ignescent, Zakaria, jeune homme qui se sent perpétuellement agressé par les actes xénophobes de la milice évoquée auparavant, cède aux avances d’une organisation islamiste, qui joue sur ses peurs et son ressentiment, et le convainc d’assassiner Martin Nordahl, le leader du parti d’extrême droite alors en tête des sondages.

Délivrer un synopsis du film d’Ulaa Salim n’est pas chose aisée, tant son scénario prend rapidement de court le spectateur et redéfinit les enjeux principaux de l’intrigue. Mais une fois cette trame de fond établie, penchons-nous sur le propos général de l’œuvre du jeune réalisateur danois. Il s’attaque ici à un sujet on ne peut plus sensible, la corrélation entre terrorisme islamiste et mouvements identitaires, et le fait avec brio, sans jamais verser dans le sensationnel. Ce qui fait la force de son long-métrage, c’est sans aucun doute le savant dosage entre thriller politique et film engagé : le spectateur est tenu en haleine par l’histoire des personnages, et assimile donc plus facilement le message d’un film qui propose une réelle analyse de la situation donnée d’un Danemark dystopique qui n’a jamais semblé aussi proche de la réalité. Et un élément sublime cela : le talent certain d’Ulaa Salim pour mettre en scène les moments d’intimité qui renforcent la proximité entre les protagonistes, plutôt bien interprétés, et le spectateur.

Mais c’est dans ce qu’il dépeint que réside l’intérêt principal de Sons of Denmark. Dans un pays comme le nôtre, timoré à l’idée d’aborder des thématiques comme celles que nous allons évoquer de peur de raviver des plaies encore ouvertes – en témoigne, dans un autre registre, la sortie polémique de Nocturama de Bertrand Bonello – la proposition du cinéaste danois prend une dimension particulière et mérite que l’on s’y attarde. A travers une réalisation léchée, il nous livre ici un regard aiguisé sur la montée des populismes xénophobes, sur les liens subreptices qui unissent certains acteurs, sur l’instrumentalisation de la dérive terroriste à des fins purement politiques ou encore sur la dédiabolisation de candidat ouvertement raciste et dangereux par le biais médiatique. Ces thèmes, ici abordés à travers le prisme de nos personnages principaux, poussent le spectateur à réfléchir et préviennent des dangers potentiels qui s’abattent sur les sociétés européennes.

Ce portrait, indéniablement angoissant, d’une société aux bords du chaos est l’occasion pour le jeune réalisateur de faire étalage de son éventail d’artifices cinématographiques. Les jeux de lumière sont extrêmement travaillés et il serait malhonnête de considérer le film d’Ulaa Salim comme raté de ce point de vue-là. Toutefois, ce dernier peine à trouver une identité visuelle propre et adopte une esthétique, certes agréable et sophistiquée, mais parfois trop proche des canons habituels de cette catégorie de petits films aux ambitions élevées.

Sons of Denmark est ainsi une œuvre intéressante, palpitante, qui mêle assez subtilement suspens et verve engagée, et qui parvient à interroger la société danoise sur ses propres maux, sans jamais ériger de vérité absolue qui desservirait complètement le propos du film. En ces temps troublés, l’atmosphère sombre du long-métrage en rebutera peut-être certains, mais saura convaincre les plus intrépides.

 

Disponible sur OCS.

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