Cinéma

Happy End : Haneke toujours audacieux

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« Happy End ». Titre prometteur pour un réalisateur comme Michael Haneke, plutôt coutumier des films noirs et pessimistes. Et pour cause : le corps du film est bien dans cet tonalité sombre et inconfortable pour le spectateur.

Haneke nous présente les Laurent, une famille bourgeoise de Calais, qui va être bousculée par nombre d’évènements tragiques. Anne Laurent doit accueillir chez elle son frère Thomas, dont la fille de treize ans Eve vient d’empoisonner sa mère. Elle héberge également son propre père Georges, vieillard aigri et suicidaire, et son fils Pierre, qui est le seul du logis à se préoccuper de la crise des migrants. Dans le même temps, Thomas trompe sa nouvelle femme et un des employés d’Anne meurt sur un de ses chantiers. Le film vient à peine de commencer et on attend déjà avec impatience cette happy end promise par le titre.

Happy End est avant tout centré sur les relations entre tous ces personnages, quitte à ce que l’histoire soit peu explicitée et manque parfois de clarté. D’abord porté sur les relations entre parent et enfant (Thomas avec Eve et Anne avec Pierre), le film se concentre petit à petit sur les autres interactions possibles, au fur et à mesure que chacun des enfants se distancie de son parent. La relation la plus forte est finalement celle qui se développe entre Eve et son grand-père George, tous deux réunis par leur dépression suicidaire. Le film souffre cependant d’un manque de profondeur dans toutes ces relations, les personnages étant trop nombreux pour pouvoir les développer suffisamment.

Avec un casting pourtant fourni, Happy End n’offre pas vraiment de scène où le jeu d’acteur soit mémorable. La faute probablement au ton du film, apathique, qui ne permet presque à aucun moment à ses acteurs de s’exprimer et de sortir de la torpeur. Isabelle Huppert (Anne) est probablement l’actrice du casting qui manque le plus de telles occasions, et ne marque donc pas beaucoup les esprits. On peut toutefois noter que Mathieu Kassovitz (Thomas) incarne plutôt bien son rôle de père extrêmement maladroit avec sa fille, et que Jean-Louis Trintignant (George) sort du lot grâce à quelques répliques qui témoignent de son ennui et de son dégoût de la vie (« J’ai foncé dans un arbre et j’ai été trop con pour faire ça bien. »). A noter que Jean-Louis Trintignant a confié avoir, dans la vraie vie, également pensé au suicide pour des raisons assez similaires à celles de son personnage. De là à penser qu’Haneke a choisi Trintignant pour cette raison, il n’y a qu’un pas…

Pour autant, et malgré ces défauts, Happy End se distingue des films banals et oubliables par de multiples traits d’audace. Deux sont particulièrement marquants. Le premier concerne les scènes filmées en live Facebook par Eve : ces scène prennent un visuel atypique, d’autant qu’apparaissent à l’écran les commentaires très noirs que poste Eve sur sa vidéo, ce qui permet de mieux comprendre ce personnage tourmenté. Le second parti-pris assez audacieux est de faire vivre à Thomas sa romance adultère sado-maso entièrement par messages Facebook : on a donc sous nos yeux une histoire paradoxalement passionnelle et désincarnée puisqu’on ne voit même pas les deux amants écrire les messages, on ne voit que leurs écrans. Ajoutez à cela des plans magnifiquement composés ça et là, et on se retrouve face à un film qui a des défauts, mais qui sort de l’ordinaire par certaines de ses qualités. Loin d’être une réussite totale, Happy End est donc encore plus loin d’être un film raté.

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