Cinéma

Le Redoutable : la démarche inaboutie d’Hazanavicius…

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« Ainsi va la vie à bord du Redoutable ». C’est à la vie du Jean-Luc Godard de la fin des années 60 que Michel Hazanavicius a décidé de s’intéresser. Tout juste sorti du tournage de La Chinoise (1967), Jean-Luc Godard, interprété par Louis Garrel, est sur un nuage : il se marie avec la tête d’affiche de son long-métrage, Anne Wiazemsky, interprétée par Stacy Martin, attendant avec impatience de voir son film couronné de succès. Malheureusement pour lui, ce film, qui traite pourtant du maoïsme et de la Révolution culturelle chinoise, reçoit un accueil très mitigé, particulièrement auprès des jeunes maoïstes dans l’ambiance électrique qui mène aux événements de mai 1968. Heurté par les critiques qui pointent du doigt ses contradictions, lui qui appelle à la révolution mais qui s’attache à son confort bourgeois, il entame une profonde remise en question de sa manière de faire du cinéma, entre art et politique.

Une chose est sûre : dans ce film, on retrouve bien le personnage de Jean-Luc Godard. Ce personnage hautain et méprisant (« Les vrais acteurs, je les méprise. »), incapable de sourire et persuadé d’avoir toujours raison contre le monde entier. Prouesse remarquable, Hazanavicius réussit pourtant à le rendre sympathique : à cet égard il faut féliciter l’écriture des dialogues, qui font de Godard un homme plein d’esprit et d’humour, même (et surtout) lorsqu’il est dédaigneux. Il est en revanche assez clair qu’une des intentions d’Hazanavicius était de désacraliser Godard, ridiculisé du début à la fin par son comportement outrancier et ses postures révolutionnaires qui se révèlent complètement factices lorsqu’il se retrouve dans la rue à manifester avec « le peuple » qui l’indispose. Ça rend le film vraiment divertissant et agréable à regarder.

A ce stade, il faut saluer la performance de Louis Garrel qui, sans susciter l’admiration, est de très bonne qualité et construit très bien ce personnage si particulier. Le bilan est un peu plus mitigé en ce qui concerne Stacy Martin (qui réussit l’exploit d’apparaître nue dans presque autant de scènes que dans Nymphomaniac). Même si le niveau global est plutôt bon, le manque d’expressivité du personnage d’Anne est souvent maladroit, sans parler des scènes carrément mal jouées, comme celle où elle pleure dans sa salle de bain.

Le Redoutable est malheureusement ponctué de nombreuses maladresses, dont les plus grossières relèvent de la réalisation. Hazanavicius a acquis sa notoriété grâce à son talent pour le pastiche, genre qui consiste à imiter les codes d’un certain type de film (par exemple les codes du cinéma policier pour OSS 117). Ici, Hazanavicius a clairement tenté de s’approprier certains des effets de style les plus emblématiques de Godard : l’exemple le plus frappant est donné par les panneaux de texte qui se substituent à l’image pour donner la définition du mot « révolution » tandis que Godard est en train de parler de Che Guevara. Mais ça ne va jamais plus loin que ce genre de clin d’œil ponctuel et isolé, ce qui rend la démarche pastiche totalement sans intérêt et nuit au film qui prend des allures de fan service pour cinéphiles. Tout cela fait qu’au lieu d’entrer en cohérence dans une démarche artistique aboutie, ces éléments se transforment en maladresses assez décevantes. On note aussi des maladresses techniques (mauvais doublage des scènes en extérieur par exemple) et des défauts d’écriture (briser le quatrième mur quinze fois pour en faire des gags pas très drôle, c’est dommage…).

Autre défaut qui rend le film parfois grossièrement bâclé : le traitement des couleurs. Le film est plein à craquer de vêtements et d’accessoires de couleur pétante rouge, jaune ou bleue, qu’il est impossible de ne pas voir et qui rappellent assez clairement des films de Godard comme Pierrot le fou. On voit bien ce que pourraient représenter ces couleurs : dans beaucoup de plans, le rouge et le jaune sont clairement représentatifs de l’esprit de révolution, face le bleu qui en prend ses distances. Mais pris dans l’ensemble du film, le code couleur est complètement incompréhensible, et tous ces accessoires et vêtements semblent avoir été posés à la va-vite dans le décor ou sur les acteurs juste pour que ces couleurs marquent l’œil, sans travailler le rapport entre ces couleurs et les personnages. Seule exception à cela : Godard, qui ne porte jamais aucune de ces couleurs, ce qui l’exclut bien de la passion révolutionnaire que malgré lui il n’incarne pas du tout, en ne le rangeant pas non plus dans le camp des anti-révolutionnaires.

Mais il faut maintenant aborder le problème principal du film : le manque d’évolution des personnages. Hazanavicius a pourtant opéré un virage intéressant au milieu du film : puisqu’il est de notoriété publique que Godard est resté hautain et aigri, le scénario s’est donc plutôt porté à mi-parcours sur le personnage d’Anne qui, elle, avait des perspectives d’évolution. Il n’en est rien : l’état d’esprit d’Anne est resté le même du début à la fin, elle est restée continuellement cette fille qui aime Godard mais a parfois du mal à le supporter. A la fin, on assiste donc à une rupture amoureuse qui a été mal amenée par le scénario, et le film ne nous a fait vivre aucune évolution de personnage. C’est pourtant crucial : vivre l’évolution des personnages avec eux est souvent ce qui les rend attachants et mémorables.

Il y a donc dans Le Redoutable un triste sentiment de déception par rapport à une démarche artistique qui n’est pas allée assez loin et qui est percluse de maladresses. Le film reste franchement amusant, on passe un bon moment en le regardant, mais il est d’un niveau assez bas. En tout cas, pas au niveau auquel on attendait Hazanavicius avec ce film.

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