Cinéma

Leto : ce sentiment de l’été, de la Russie et de la liberté…

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À travers le récit de l’amitié entre les chanteurs de rock russes Viktor Tsoi et Mike Naoumenko, Kirill Serebrennikov dresse le tableau d’une culture underground fascinante au tournant 1980, dans un bel équilibre entre esthétique de l’image et simplicité du récit.

Leto est une description d’une époque, d’un milieu et de ses figures marquantes, mais aussi et surtout d’un sentiment, d’un état d’esprit. Il nous parle de cette liberté qu’incarne le rock, ou plutôt que l’on réclame à travers lui – ce n’est pas pour rien qu’en cette ère brejnevienne le rock est brimé, comme le montrent plusieurs scènes. L’insouciance de ces reprises dissonantes des classiques que sont The Passenger ou Psycho Killer, la revendication du braillement plutôt que du chant qui alterne avec les douces chansons acoustiques, les ruptures régulières du quatrième mur, l’illustrent magnifiquement. On en apprend beaucoup, mais le film n’est pas une leçon, plutôt un partage.

Les relations subtiles que les personnages tissent se développent tout en douceur à mesure que les chansons s’écrivent et que les premiers concerts se jouent. Le pari de dessiner l’histoire d’un mouvement derrière celles de quelques-uns de ses représentants fonctionne à merveille : elles se nourrissent mutuellement. La figure de Natalia, dont la biographie a servi de base au film, offre au spectateur un élément polarisant attachant et émouvant. Le portrait de cette femme, à la fois témoin et muse de ses compagnons, donne son unité au film. C’est autour d’elle que s’organisent toutes les harmonies.

Le noir et blanc donne lieu à des scènes sublimes, comme cette grande séquence lors de laquelle tous les personnages boivent, chantent et dansent sur la plage. Mais loin d’être d’un formalisme ennuyeux, il sait laisser régulièrement la place à l’audace qu’on attend d’un rock movie : effets clipesques, dessin et animation, onomatopées qui envahissent l’écran comme pour mieux montrer comment la musique s’empare des personnages et vient colorer leur réalité, insufflant à intervalles réguliers une énergie soudaine au film.

Bien sûr, on appréciera d’autant plus Leto qu’on reconnaîtra ses références à Lou Reed, Dylan, Bowie, T-Rex et tant d’autres ; on appréhende sûrement mieux le versant russe du mouvement quand on connaît ses origines américaines. Mais c’est aussi pour ceux qui en sont peu familier l’occasion de le découvrir dans sa globalité, puisque c’est son esprit qui est restitué.

Quand on y pense, un film qui donne envie d’apprendre le russe pour pouvoir chanter sa bande originale ne peut qu’être réussi.

9.5

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