Cinéma

Licorice Pizza – Le souffle de l’immaturité

0

A la frontière de l’adolescence et de l’âge adulte, il est un temps que d’aucuns rêvent de retrouver, un temps où l’insouciance se mêle aux grandes questions et où déjà on fait le point sur une vingtaine d’années d’existence. Les nostalgiques regrettent peut-être leur maladresse bercée d’illusions encore bien réelles, un esprit de conquête de la vie, un souffle encore vivace.
Licorice Pizza se veut mise à l’image de cet esprit, palimpseste baigné de soleil californien livré dans une effusion d’énergie et d’hormones adolescentes mêlées à l’impression que les vrais adultes n’ont eux non plus pas vraiment grandi.

Bâti sur un couple atypique, Licorice Pizza ne vise ni l’intensité de certains des autres longs-métrages de Paul Thomas Anderson, ni la maîtrise si caractéristique qui fait de sa mise en scène la référence du cinéma américain contemporain. Il ne dévoile pas non plus le ton si grave qui m’avait tant marqué lorsque j’avais découvert celui qui est devenu depuis mon réalisateur favori.
Au contraire, Licorice Pizza constitue une réinvention, un revirement tout en diversité, adossé sur un ton comique réussissant à merveille à transmettre la féérie d’une vision idéalisée. Et lorsque la salle riait de cœur avec les personnages, force était de constater que le pari était réussi.
Licorice Pizza empreinte aux frères Coen une galerie de seconds rôles décalés, dévoilés en autant de séquences fantasques par des acteurs de renom, Sean Penn, Bradley Cooper, Tom Waits ou Harriet Sansom Harris pour ne citer qu’eux. De cette accumulation naît l’impression d’une irréalité souriante, comme si bouche bée on ne pouvait pas complètement comprendre cet écosystème très over the top. Laisser entrevoir le rock’n’roll aux personnages comme aux spectateurs, mise en abyme du meilleur effet.

Malgré la force ces fugaces et lumineuses apparitions, Licorice Pizza ne manque pas de révéler deux néo-acteurs à l’avenir désormais assuré, qui transcendent par leur présence un scénario écrit sur-mesure.
Cooper Hoffman – Gary Valentine – fils du regretté Philip Seymour Hoffman, livre une performance d’une bonhommie confondante, doublée d’une assurance touchante et sensible. Ni tout-à-fait adolescent ni adulte mais tellement attachant, il se prête avec brio à l’exercice d’équilibriste que représente le long-métrage, à travers le mystère d’une relation ambigüe.
Et que dire d’Alana Haim – Alana Kane – qui signe avec Licorice Pizza ce qu’on peut espérer être le début une immense carrière. Dans une combinaison extraordinaire d’exaspération, d’incertitude, de retenue et de franchise, elle irradie la pellicule de sa classe et de son magnétisme, teinté ça et là d’une mélancolie toute contenue. Licorice Pizza n’aurait pas pu accueillir une meilleure performance, et c’est avec une certaine émotion qu’on attend qu’elle revienne un jour à l’écran, chez Paul Thomas Anderson ou ailleurs.
Licorice Pizza est à ce titre associé au plaisir d’une découverte innocente. D’œuvre personnelle pour Paul Thomas Anderson, il s’en trouve une œuvre intime pour ses acteurs autant que pour les spectateurs qui réussiront à s’y abandonner.

Licorice Pizza a pourtant ceci de déroutant qu’il est à l’image de ses personnages, et de leurs tergiversations. A la manière de Gary Valentine, il alterne entre élan ravageur, signifié par une bande son toute aussi ravageuse, et ralentissements inattendus qui nécessitent que l’on apprivoise l’œuvre autant que ses protagonistes.
Inconfort atypique que de ne pas comprendre toutes ses émotions de spectateur, de ne pas absorber sans heurts le flots des émotions qui de plan en plan sont pulvérisées tout au long du long-métrage. Licorice Pizza s’apprécie autant dans l’instant que dans la réflexion et trouve sa résolution à tête reposée. Film qui grandit à mesure que l’on s’éloigne de la salle, que les minutes passent, et qu’avec elles on se penche sur ces incompréhensions.

Licorice Pizza n’est pas le ballet feutré qu’était Phantom Thread, le précédent film de Paul Thomas Anderson, mais il relève paradoxalement d’un équilibre tout aussi subtil qui procure une forme toute particulière d’émerveillement. A défaut d’être complètement emporté dans l’instant, il embarque pour la durée, avec la sensation de devoir être revu avec un brin de naïveté en plus. Le souffle de l’immaturité a ceci de beau qu’il s’apprécie d’autant plus qu’avec le temps qui passe les émotions se dévoilent avec plus de sensibilité et d’acuité. A l’image d’une dernière scène à la beauté simple, Licorice Pizza laisse entrevoir ce souffle à l’aune de cette sensibilité dissimulée. Ou quand être adolescent ou adulte ne compte plus vraiment.

8

Le Top 2021 de Making Of

Previous article

Matrix Resurrections (1) – Du plaisir authentique au plaisir coupable

Next article

Comments

Comments are closed.

Login/Sign up