Articles

Rétrospective : Sonatine, mélodie mortelle de Takeshi Kitano

0

Murakawa, un yakuza à l’influence croissante au sein de son gang, est envoyé par ses supérieurs à Osaka afin d’y signer un traité de paix avec un clan rival. Une fois sur place, lui et ses hommes sont la cible d’une série d’attaques qui les forcent à quitter la ville pour aller se réfugier sur l’île d’Okinawa.

Le Yakuza, mafieux japonais, a son genre cinématographique dédié : le Yakuza Eiga, sorte d’équivalent nippon du film de gangster à l’américaine, né dans le début des années 1960. Rivalités entre clans, vengeances, violence … le tout combinant observation de la réalité sociologique du pays et influence hollywoodienne, pour rapidement développer un style propre, avec ses codes, ses emblèmes, etc.

Takeshi Kitano est aujourd’hui devenu une véritable référence du genre. Sorti en 1995, Sonatine est un des premiers film de Yakuza qu’il réalise, et surtout celui qui lui permet d’être découvert par le public européen grâce au festival de Cannes, alors qu’il est déjà une célébrité de la télévision au Japon.

Seulement, Sonatine est tout sauf un film de yakuza typique. C’est d’ailleurs un véritable échec commercial au Japon. Pourquoi, alors qu’il a aujourd’hui un statut de film culte ? D’abord, parce qu’au moment de sa sortie, le public nippon est encore déstabilisé par le nouveau rôle que se donne Kitano depuis quelques années ; l’humoriste devient tueur, le comédien devient tragédien. Mais cet échec s’explique aussi et surtout par l’histoire qu’il raconte, et la façon qu’il a de le faire, qui ont toutes deux de quoi déstabiliser. En réalité, le film rompt totalement avec le genre, au point qu’on pourrait presque considérer qu’il n’en fait pas partie, ou du moins qu’il en dévie.

Si Sonatine commence de façon classique par une exposition des relations entre les différents membres du gang, des rivalités au sein de sa hiérarchie, des luttes contre leurs rivaux, la façon de le faire a de quoi dérouter. Les plans sont étrangement cadrés. Les scènes s’interrompent les unes les autres.  Les scènes de fusillades sont statiques, bruyantes ; loin d’être jouissives, elles sont étrangement filmées, subies par les personnages et montrées au spectateur avec un détachement inattendu. Le film évolue dans une atmosphère assez inexpressive, à l’image de son interprète-réalisateur, dont la palette émotionnelle se résume globalement à absence d’expression/rire, conséquence notamment d’un accident de moto l’année précédant le tournage du film.

Le cœur de Sonatine réside en réalité ailleurs que dans l’action, ailleurs que dans la guerre, bref : ailleurs que dans les Yakuzas. Raison pour laquelle, en proie à une série de règlements de compte dont ils ne comprennent pas l’origine, constamment menacé de mort, les personnages fuient la ville d’Osaka et son chaos absurde. Réfugiés au bord de la mer, ils retombent en enfance. On passe des fusillades aux jeux de plage, des assassinats aux plaisanteries. Kitano joue, à la fois devant et derrière la caméra ; il s’amuse en tant qu’acteur, en tant que scénariste, en tant que réalisateur. Il mêle le burlesque, le comique de situation, les trouvailles de réalisation. Sketches, mise en abîme, le personnages jouent aux sumos, font des feux d’artifice, creusent des trous dans le sable. En découle une poésie tout particulière, à la fois très drôle et émouvante, comme empreinte de nostalgie.

Mais dans le même temps, cette échappée n’est qu’éphémère. La violence ressurgit à intervalles réguliers, comme par un effet de comic relief inversé. Le dénouement, lui, est plus classique, et même tragique. C’est cette ambivalence qui a sans doute empêché le film de trouver un public : il n’est ni film d’action, ni comédie, mais d’un genre nouveau, ce qui lui donne tout son intérêt.

Avec Sonatine, Kitano crée son style. Comme son personnage, on sent qu’il essaie de fuir quelque chose. Il profite de sa notoriété pour réaliser un œuvre telle qu’on en attendait pas de lui, il tire des codes du genre une œuvre entièrement nouvelle. Le tour de force étant que c’est selon cette logique que continuera ensuite à se développer toute sa filmographie.

10

American Gods (Saison 1) : les dieux sont parmi nous…

Previous article

Cold War : une grande passion musicale

Next article

Comments

Comments are closed.

Login/Sign up