Cinéma

Cold War : une grande passion musicale

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Adoubé à Cannes par le prix de la mise en scène, Cold War, le dernier long-métrage de Pawel Pawlikowski raconte un amour rendu impossible par la guerre froide, une histoire directement inspirée de celle des parents du réalisateur, qui se sont déchirés et retrouvés pendant des décennies.

Omniprésent au générique (histoire, réalisation, image), le metteur en scène polonais reprend le format carré et le noir et blanc stylisé d’Ida (Oscar du meilleur film étranger), en cassant toutefois l’immobilisme et la rigidité caractéristiques de ce dernier. La narration est dense, dix ans de crispations européennes entre 1949 et 1959 en quelques 88 minutes (générique inclus), alors que la tendance est plutôt aux œuvres longues.

La première partie s’ouvre sur les pérégrinations de deux musiciens, Wiktor (Thomasz Kot) et Irena (Agata Kulesza), mandatés par le parti communiste pour les besoins de la propagande nationale. Ils parcourent le pays enneigé à la recherche de chanteurs en vue de constituer un ensemble folklorique. Ici, l’attention portée aux détails, notamment aux costumes de la troupe, est stupéfiante. Pawlikowski dit s’être beaucoup inspiré des photographies fournies par le collectif Mazowsze (voir entretien Trois Couleurs).

Plus qu’une photographie somptueuse (signée Lukasz Zal), tout en contrastes ou en nuances subtiles selon le besoin de chaque plan, c’est la musique, arrangée et jouée par Marcin Masecki, qui constitue le liant du film. Le plan d’ouverture est fait de paysans jouant d’instruments traditionnels, que la caméra filme au plus près. C’est ensuite autour des multiples variations du même chant populaire que s’organise la rencontre et la passion de Wiktor avec Zula (Joanna Kulig), jeune chanteuse énigmatique, dont la rumeur dit qu’elle aurait tenté d’assassiner son père. Pawlikowski filme leur amour à coup d’ellipses, signifiés à l’écran par de longues transitions au noir, laissant aux spectateurs une immense liberté d’interprétation.

Wiktor, lasse de la vie à l’Est, s’enfuit à Paris, et nous nous engouffrons dans le saint-germain mondain des années 50s. Zula le rejoint. Elle l’aime sans pourtant pouvoir supporter ni ce qu’il est devenu ni l’hypocrisie du milieu qu’il s’est choisi. C’est son énergie fulgurante que la caméra suit dans un bar de jazz parisien, où les cadrages au cordeau laissent place à une grande fluidité de mouvements.  

Cette narration fractionnée à travers la Yougoslavie, l’Allemagne, la Pologne et la France, faite d’éclairs et de fulgurances, de décharges émotionnelles, sculpte des personnages flous, et ce pour notre plus grand bonheur. On ne sait trop ce qui les mue sinon les vagues de cet amour intangible et les enjeux géopolitiques qui les séparent et les réunissent. En minimisant le dialogue, en favorisant ses compositions que vient briser le jeu de ses acteurs, Pawlikowski signe une grande œuvre poétique.

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