Cinéma

Star Wars IX – L’ascension de Skywalker : l’impossible sauvetage d’une saga naufragée

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Après un épisode 7 insipide et un épisode 8 en demi-teinte, ayant globalement déçu les fans, le phénomène Star Wars semble bien éteint, si bien que jamais un épisode de la saga n’est sorti dans une plus grande indifférence que ce Star Wars 9. A croire que toute l’équipe travaillant dessus l’avait senti venir : chaque scène transpire l’indifférence des scénaristes, réalisateur, producteurs, et la hâte qu’ils avaient de se débarrasser de cette saga trop grande pour eux. Le titre du film est une bonne annonce de ce qui va suivre : les traducteurs n’ont même pas fait l’effort de trouver une proposition qui respecte les règles du français. 

Un débat passioné entre Isaure Lollichon de Baulny et Baptiste Gaudeau. Alerte divulgâchage : cet article contient des révélations concernant l’intrigue du film.

Isaure – Le principal problème de cette trilogie restera le manque d’attachement aux personnages, ce qui est principalement lié à leur absence de background, de caractéristiques, et de prise d’initiative, donnant l’impression qu’ils sont ballotés d’une scène à l’autre. Leurs origines n’ont jamais été explorées (voire n’existaient pas dans le cas de Rey), alors même que la saga aurait pu proposer des dilemmes intéressants, comme pour Fin. Aucun n’a donc eu d’arc et d’évolution personnelle. Pour combler ce manque, le film sort de nulle part des dilemmes qui n’ont jamais été soulevés avant, et tente de faire croire à une conclusion bien peu crédible de leurs parcours.  Le vide de leur personnalité, permet de les faire changer d’avis selon les besoins du scénario et leurs actions, prises de décisions, avis sont incohérents d’une scène à l’autre. La sensation d’accomplissement que le film force produit donc un vrai effet pétard mouillé. De plus…

Baptiste – Attend deux minutes… Je ne crois pas que le film mérite de tels reproches quant à la construction des personnages. Certes, rien ne permet de comprendre leurs choix du fait qu’ils n’ont aucune motivation, mais est-ce au troisième opus d’une trilogie de donner une personnalité à ses personnages ? Star Wars 9 souffre ici de l’absence totale de développement des protagonistes dans les épisodes 7 et 8. Tandis que le 7 se bornait à faire errer ses nouveaux personnages dans une histoire cherchant vainement à ranimer l’amour pour la trilogie originale avec une pâle copie de l’épisode 4, Star Wars 8 s’attachait à déconstruire tout ce qui avait été fait dans le 7, sans rien apporter aux personnages malgré tout. Comment Star Wars 9 pouvait-il réussir le pari impossible de proposer une conclusion à des personnages qui ne pouvaient connaître aucune évolution du fait de leur manque cruel de développement ? Le recours à Palpatine a au moins le mérite de combler rapidement le vide de deux personnages clés de la nouvelle trilogie : Rey et Snoke. La première parce qu’elle a enfin des origines qui justifient sa place dans l’histoire, le second parce qu’il n’était en fait qu’une marionnette.

Isaure – Certes, parvenir à clore une trilogie aussi bordélique et mal réfléchie était un pari perdu, et le film souffre de problèmes de scénario dûs à l’absence de projet sur la saga. On attendait donc de la part des scénaristes un travail deux fois plus inventif et précis que d’ordinaire pour rattraper ces défauts, ce qui n’est manifestement pas le cas ici. Ainsi, de nombreux éléments sortent de nulle part pour arranger le script, sans justification, à commencer par le recours à Palpatine, qui vient justifier toutes les erreurs de J.J Abrams sur le premier volet. Mais ce procédé se reproduit au sein même du film. Au lieu de mettre en place des éléments logiques, se répondant tout au long du métrage, les scénaristes multiplient les personnages secondaires venant résoudre une situation (Lando, ou le petit robot …) et disparaissant aussi sec une fois qu’ils ont accompli leur tâche. Aucun d’eux n’est développé ou au moins original, et cette multiplicité de personnage rend la trame principale difficile à identifier. A côté de cela, ce qui a vraiment de l’importance, de l’enjeu, est oublié. Aucune progression dramatique n’est créée, le film est un enchaînement de séquences, de décors, jusqu’à la confrontation finale copiée sur l’épisode 6. Je rappellerai aussi ce qui n’a été que trop souligné depuis la sortie du film, les incohérences : est-ce qu’une personne au moins dans l’équipe a lu le scénario en entier ?

Baptiste – Ces facilités de scénario sont sans doute le prix à payer pour offrir au film un dynamisme rafraîchissant après un Star Wars 8 inutilement lent. En retrouvant enfin un rythme véritablement prenant, Star Wars 9 peut enfin nous offrir des environnements neufs et créatifs, notamment avec la séquence de l’épave de l’Etoile de la mort qui utilise à bon escient, pour une fois, la nostalgie des trilogies originales. Même si ce n’est parfois que pour quelques secondes de course-poursuite, JJ. Abrams crée cette fois des mondes totalement nouveaux et visuellement inspirés. On retrouve ainsi les moments d’émerveillement essentiels à un Star Wars, après un Star Wars 7 qui reprenait toutes les idées de la trilogie originale et un Star Wars 8 qui, malgré l’absence de créativité des deux premières heures, s’en sortait un peu mieux avec les décors du climax.

Finn (John Boyega), Poe Dameron (Oscar Isaac) et Rey (Daisy Ridley)

Isaure – Je reconnais avoir apprécié l’effort de création artistique tout au long du film, donnant vraiment une sensation de vie à l’univers. Je ne serai pas aussi indulgente sur le rythme du film qui va à fond la caisse, donnant l’impression d’un enchaînement de séquences rushées. Aucun moment ne se pose pour souligner la beauté d’une scène, même lors de la mort d’un personnage aussi iconique que Leïa (ce qui est aussi dû à l’absence de véritables liens entre les personnages). Des moments clés du scénario, ou des décisions graves pris par les protagonistes, comptent autant que les arrêts sur des aliens quelconques ou des sous-scénarios inutiles qui font perdre du temps. En plus de contribuer à désintéresser le spectateur, cela pose un vrai problème moral. En effet, les personnages principaux prennent parfois des décisions complètement immorales, qui ne sont jamais questionnées par le film. On peut ainsi relever deux moments : celui où Rey tue Chewie, et celui où les personnages condamnent C3PO sans la moindre hésitation (pour être bien sûr ressucité plus tard, parce qu’il ne faudrait pas faire peur aux enfants). Et c’est un vrai problème, typique de Disney: on ne réfléchit plus à la moralité d’une action soit car elle arrange le scénario, soit parce qu’on y perdrait trop de temps. Le sacrifice de C3PO devient alors davantage une injustice qu’un moment fort. Or, commettre des actes barbares par facilité, c’est normalement la caractéristique des antagonistes. Sur ce point, Star Wars 9 m’évoque Twilight.

Anthony Daniels (C-3PO) et Daisy Ridley (Rey)

Baptiste – Toute cela est sans doute le résultat d’une certaine démarche de la part de Disney : camoufler la patte de la firme aux grandes oreilles en rendant ses productions moins « fleur bleue » et en injectant une once de « noirceur ». Si c’est souvent maladroit, cet effort permet d’inclure des dilemmes réellement intéressants dans un récit pourtant fondamentalement creux. En liant héréditairement Rey et Palpatine, la firme fait d’une pierre deux coups. Rey a enfin des origines et elle est désormais légitimement déchirée entre la lumière et le côté obscur, bien plus légitimement que Kylo Ren en tout cas. Même si le film passe rapidement sur ces moments de doute, on peut apprécier la tangibilité de cette ambivalence à deux moments du film qui ont un vrai souffle : lorsque Rey est confrontée à son double du côté obscur et lorsque Palpatine la somme de le tuer.

Isaure – Ce dilemme est ridicule, la moralité n’a jamais, dans la saga, été liée aux gènes: la preuve, c’est Luke skywalker, fils de Dark Vador, qui est un modèle de vertu durant toute la trilogie originale. Le problème ici est de ne pas assez souligner une action grave (et je ne parle pas des moments où elle est soi-disant tentée), et de le remplacer par un questionnement artificiel et stupide. Au final, ce questionnement n’est qu’une case cochée dans le cahier des charges, une évocation et non un profond questionnement aux enjeux forts. Et c’est ce qui caractérise tout le film : mettre bout à bout des éléments sans leur donner un sens. Toutes ces phrases et situation deviennent donc des clichés, presque une parodie de film d’action. Les très mauvais dialogue en sont un exemple éloquent : les phrases iconiques de la saga (I have a bad feeling about this), sont placées aléatoirement, sans correspondre au contexte. Ces dialogues sonnent d’autant plus faux que les liens entre les personnages sont creux.

Daisy Ridley, John Boyega, Oscar Isaac

Baptiste – Dur de trouver à redire sur ce point… On croit d’autant moins à ce nouveau trio que cette trilogie, dans son adoration bornée pour les films originaux, nous rappelle régulièrement la profondeur des liens qui y unissaient les personnages. Star Wars 9 ne déroge pas à la règle, parvenant, de façon surprenante, à rendre la mort de Leia réellement impactante lorsque Chewie s’écroule de chagrin face à cette perte, son cri de détresse étant sans doute le pic émotionnel du film. En ce qui concerne les nouveaux personnages, celle entre Rey et Kylo Ren mérite bien d’être sauvée dans cette histoire. Pour une fois, c’est sans doute Star Wars 8 qu’il faut remercier ici pour avoir introduit le lien qui les unit. Le développement des origines de Rey permet d’établir un jeu de miroir simple mais efficace entre Kylo qui du côté obscur est tenté par la lumière et Rey qui est constamment appelée par le côté obscur. Les scènes où ils sont reliés par la force parviennent en outre à instaurer une réelle tension, notamment grâce au montage qui lie parfaitement les personnages malgré la distance qui les sépare. On touche ici au point sensible de notre retour sur le film car, malgré tous les défauts évoqués, la réalisation de JJ. Abrams fait de Star Wars 9 le meilleur de cette trilogie sur le plan visuel. Le réalisateur reprend les rapports d’échelle qui avaient fait tout le grandiose de Rogue One, notamment au moment de l’assaut sur les star destroyers lors de la bataille finale. Le travail de la lumière, qu’on sait maîtrisé par JJ. Abrams, est ici encore parfaitement exécuté, notamment au cours du climax où les visuels marquants se succèdent les uns après les autres.

Daisy Ridley (Rey) et Adam Driver (Kylo Ren)

Star Wars 9 est donc bien un film malade, non pas tant de son époque, comme nombreux ont été à le dire, mais du projet dans lequel il s’inscrit, précipité et mal pensé. Ses prédécesseurs ayant manqué à nombre des attendus des premiers épisodes d’une trilogie, il doit créer des enjeux en toute urgence pour qu’il puisse y apporter une conclusion. Pourtant il est, des trois, sans doute celui qui se rapproche le plus d’un Star Wars, nous proposant tant par ses environnements que par ses visuels des éléments véritablement neufs. La levée de boucliers générale à laquelle il fait face est alors surprenante, après la quasi adoration de Star Wars 7 (en son temps) et l’accueil mitigé de Star Wars 8. Arrivé au bout d’un projet habile dans la dissimulation de ses insuffisances, c’est comme si le public se rendait enfin compte d’une supercherie qui a déjà rapporté plus de quatre milliards à Disney.

Star Wars 9, de JJ. Abrams. Avec Daisy Ridley, Adam Driver, John Boyega, Oscar Isaac. Sortie le 18/12/2019.

 

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