Cinéma

The Beatles : Get Back – Ainsi sont-ils

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Difficile d’exprimer simplement l’émotion qui étreint l’amoureux transi des Beatles au fil des images défilant tranquillement, sereinement, vers la postérité. Difficile, d’aucuns diraient impossible, qui n’auraient pas tout à fait tort, et c’est pourtant tout l’enjeu de ces lignes, dont le seul horizon est de faire miroiter la beauté salutaire de ce grand documentaire. Projet longtemps ressassé, arlésienne pour certains, chimère définitivement perdue pour d’autres, c’était sans compter l’abnégation d’un certain Peter Jackson – cinéaste retenu pour une trilogie plutôt méconnue : Le Seigneur des Anneaux – dont l’inépuisable passion, ressentie à chaque instant du métrage, permit de réinvoquer cette foule d’images que l’on croyait irrémédiablement perdues. Vint à cela s’ajouter Disney +, où peuvent désormais être inlassablement retrouvés ces moments d’éternité musicale.

I hope we passed the audition

Janvier 1969. Alors que les Beatles sortent de l’éclatant succès de leur White album – chef d’œuvre parmi les chefs d’œuvre –, ils retournent en studio avec une idée claire : enregistrer en 2 semaines 14 morceaux, de sorte qu’ils puissent à la mi-Janvier les donner en concert, ce qu’ils n’ont pas fait depuis 1966. 14 morceaux à jouer live, donc, à l’encontre des orientations prises par le groupe, dont les albums précédents seraient absolument injouables tant ils recèlent de finesses musicales, d’expérimentations sonores, de structures imbriquées. A cette urgence s’ajoutent les tensions naissantes, déjà larvées lors des enregistrements antérieurs, ici grandissantes. La caméra de Michael Lindsay-Hogg, venue accompagner le groupe pour un documentaire aujourd’hui introuvable, n’en finit pas de saisir les joies, les peines, les tourments. Seront-ils prêts ? A la hauteur de leur génie coutumier ? L’histoire est écrite, Peter Jackson la redonne amoureusement.

Le piège eût été de sombrer dans la retranscription plate et sans envergure, piège savamment évité par Jackson, dont la maîtrise du montage, les choix dans le découpage, témoignent d’un vrai regard cinématographique. A l’inverse de moult documentaires moins éclatants, le cinéaste substitue à l’énumération factuelle l’immersion dans l’instant. C’est peu dire que Peter Jackson n’est pas amateur de la concision, et ce ne sont pas les 8 heures ici restituées qui démontreront le contraire. Et que lui opposer, face au plaisir inavoué de voir restitué ces entrelacs de conversations, ces accès d’inspiration, de génie, dans leur longueur, dans leur durée ? Voilà tout l’intérêt de cet émouvant objet filmique, dont on ne sait vraiment s’il révèle du documentaire, de la série, du cinéma, et peu importe finalement, tant il donne à voir, à entendre, à s’émouvoir.

Voir devant soi jammer, composer des chansons qui plus tard deviendront iconiques. Plaisir du mystère, mystère de la création, en admirant en direct, médusé, Paul McCartney tâtonner, partir d’un rien, d’une corde, pour tomber, presque au hasard, sur la mélodie de Get Back ; être ensuite rejoint par George Harrison – that’s a good one ! – surajoutant aux lignes de basse des accords devenus cultes, par Ringo, qui déjà sent venir le rythme légendaire d’une chanson pour l’histoire. L’émotion à peine voilée lorsque George Harrison vient proposer des bribes de Something, plus belle chanson d’amour du monde ; le voir chercher encore, du bout des lèvres, des paroles qui désormais sont au bord de toutes les oreilles ; s’émerveiller enfin de la cohésion, de cet élan commun vers la grande musique.

All things must pass

1969, c’est évidemment le bout du chemin, approches de la fin qui n’adviendra qu’un an plus tard avec la sortie de Let it Be. La question de la séparation des Beatles, qui tant et tant de fois fit verser d’encre et de fantasmes, ne pouvait décemment être écartée, d’autant que les enregistrements de ce début 69 restent dans l’imaginaire collectif le point de non-retour Le premier documentaire, sorti peu après la séparation du groupe, donnait à voir une image apocalyptique des enregistrements, tout empreints de fatigue et de lassitude. A l’inverse, il était à craindre ici une version enjolivée de l’affaire, presque disneyisée, qui exclurait toute controverse, plongerait en plein dans le pardon tiède. Mais Peter Jackson, dans sa grande intelligence, sait bien que la vérité se trouve quelque part au milieu, et qu’il s’agira dès lors, sans omettre ni dissimuler, d’offrir au spectateur une foule d’images qui lui permettront, sinon de comprendre, du moins de s’émouvoir de la fin d’une histoire. Encore une fois, point de rétrospective factuelle, tout est affaire de montage : tensions soulignées par de soudaines accélérations, entente musicale, quasi-rythmique, douleur toujours dans la durée. Il reste de ce documentaire, outre les joies, les tensions, les chagrins, cette entente harmonique pure, insensée, mariage de sensibilités musicales qui jamais dans l’histoire ne put être reproduit ; et ce génie sous-jacent, toujours prêt à surgir, cette inépuisable créativité perpétuellement abreuvée par l’entente, l’harmonie.

Where is the noise coming from ?

Point culminant de ces 8 heures, le concert sur le toit, ici restitué dans son intégralité, est un morceau de bravoure extatique, sommet d’émotions pour qui a longtemps fantasmé d’y être, au 3, Savile Row, entendre s’envoler ces voix lancées vers le ciel. Pinacle du rock, moment décisif dans l’histoire de la musique contemporaine, voilà qu’il nous revient comme remis dans son état d’origine. Comment faire du cinéma avec des images tant et tant ressassées, presque démystifiées ? Tour de force d’un Peter Jackson particulièrement inspiré, et dont la capacité à fabriquer des scènes marquantes n’est plus à démontrer. Ici encore, l’usage virtuose du split screen permet au cinéaste de raconter plusieurs histoires en une, de sorte que se mêlent dans un même élan l’émotion musicale, l’ironie passante, la tension policière. Rien qui ne soit jamais sacrifié ou empesé par un montage qui jamais ne surcharge, toujours enjoue, jubile, emmène au long des partitions. Le tout balance en rythme, d’une cadence l’autre, d’une image l’autre, du toit à la rue, des policiers aux passants, accompagné tantôt par les chants harmonisés, tantôt par les remarques cinglantes : It woke me up from my sleep and I don’t like it !

And then there were too…

C’est aussi l’écart qui nous sépare des images et rend la chose émouvante, fait résonner douloureusement certains mots, certaines voix. Un instant notamment, court, déchirant. Après que George vient de quitter le groupe, John décide de ne pas aller non plus en répétitions, laissant seuls Paul et Ringo, dépourvus. La caméra s’arrête alors sur le regard de Paul, doucement évasif, au creux duquel on devine des larmes retenues. Le silence s’est fait depuis quelques instants déjà, le temps suspend son vol, rien que Paul et ses yeux embués, puis sa voix tout juste audible, fuyante, presque étouffée : “And then there were too”. Quelques mots immensément tristes, et qui résonnent d’autant plus douloureusement que le temps a passé, les choses sont ce qu’elles sont, John et George n’en font plus partie. Cet écart, toujours vivace, toujours vibrant, infuse de mélancolie l’entièreté du métrage qui, s’il prend des allures indubitablement légères, simples, tranquilles, conserve en creux le goût doux-amer des images à la fois retrouvées et perdues.

C’est qu’enfin, Peter Jackson a le grand mérite de la simplicité, qui baigne ces 8 heures d’images ininterrompues. L’impression d’y être, simplement, loin des icones, proche des musiciens. Point d’emphase, qui toujours revient lorsque les Beatles sont évoqués, à laquelle cet article ne saurait échapper. Mais c’est qu’il y a des choses inexprimables qui vous accompagnent parfois toute une vie, et dont les mots peinent à retranscrire l’intensité. Les Beatles, c’est certain, feront partie de mon voyage.

Goodnight, Paul. Goodnight, John.

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Luca Mongai
Rédacteur en chef de la Cinémat'HEC pour l'année 2021-2022.

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