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Elvis Presley, légende du rock, miroir d’une Amérique en pleine mutation

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Après Freddie Mercury, Aretha Franklin et Elton John, c’est au tour du King du rock’n’roll, Elvis Presley, d’être la star du nouveau biopic réalisé par Baz Luhrmann, le même qui, dix ans en arrière, décida d’adapter au cinéma l’œuvre de Francis Scott Fitzgerald, Gatsby le Magnifique. Ce biopic revient sur l’histoire personnelle d’Elvis – incarné par l’acteur américain Austin Butler – de son enfance, de la naissance de sa légende, de sa relation avec sa famille et ses amours, mais aussi sur son histoire inconnue avec son manager, le colonel « Parker », – une figure « diabolique ». Cette relation est d’ailleurs au centre du film : l’histoire est racontée par la voix-off du Colonel, sur son lit de mort, comme si, à l’arrivée du spectateur dans la salle de cinéma, l’heure de son jugement final avait sonné. 

Mais pourquoi un film sur Elvis ? Pourquoi encore un biopic ? Ne connaissons-nous déjà pas l’histoire d’Elvis, de ses concerts, de sa légende ? Un biopic est avant tout intéressant car à travers une personnalité, un film peut se faire le miroir d’une époque et le miroir de notre époque. Nos préoccupations contemporaines affectent le regard qu’on porte sur l’histoire. Elvis est avant tout le reflet des États-Unis en pleine mutation, du passage des « boring » Fifties aux Sixties, agitées par le mouvement des Droits Civiques, touchant aussi à la naissance du rock’n’roll à partir du rhythm&blues afro-américain. Elvis est le reflet d’une jeunesse en quête de renouveau, fatiguée du pop traditionnel, à la recherche de quelque chose de plus violent et libérateur. Voici l’idée qui justifie le fait qu’Elvis est un très bon film et que je veux défendre dans cet article : le biopic sur Elvis, contrairement à un simple documentaire, fait du King du rock’n’roll un reflet des mutations d’une époque et d’un genre musicalpar les techniques d’agencement des plans, des sons et des lumières dynamiques. Le jeu d’Austin Butler, conjointement avec un récit narratif vif, fait de l’œuvre cinématographique un véritable hommage du septième art au chanteur et au rock. 

Le biopic fait d’Elvis Presley un reflet de l’évolution de l’histoire du rock’n’roll. Le chanteur grandit dans un quartier afro-américain, et il baigne, dès petit, dans le gospel et le blues. Apprenant à danser dans les églises catholiques de ce quartier, Elvis forge sa personnalité dans un monde qui est stigmatisé par l’Amérique blanche. Elvis inaugurera une nouvelle étape dans l’histoire du rock, avec son rockability, qui mélange danse et chant pour produire une véritable performance théâtrale sur scène. Mais l’homme blanc s’approprie à sa manière du blues afro-américain, de la musique de son ami B.B King, et réalise le rêve, en devenant une légende de la musique, de beaucoup d’afro-américains qui ne pourraient jamais accomplir ce qu’il a accompli à cause de leur couleur de peau – même si cela lui vaudra des conflits avec la police. En témoigne la scène de son concert où, décidant de ne pas respecter les consignes de son manager, Elvis se déchaîne sur scène avec les moves qu’on lui avait interdit de faire, poussant le manager à annuler le show et demander à la police d’arrêter Elvis. 

Ce qui témoigne de cette profonde interconnexion entre le blues afro-américain et le rock d’Elvis, ce sont les suites de plans achronologiques alternés lors des concerts d’Elvis qui permettent de rappeler au spectateur d’où vient le rock : dans un plan, on voit Elvis chanter sur scène Trouble, puis au plan suivant, on voit le jeune Elvis enregistrant sa première musique à Sun Records, inspirée directement du blues dans lequel il a baigné, et ensuite un plan d’un chanteur afro-américain de Blues qui inspira Elvis quand il était jeune. L’alternance achronologique de ces plans montre l’interconnexion profonde entre Elvis et le blues et gospel afro-américain, rappelant les origines du rock au spectateur. 

En évoquant les mutations de l’histoire du rock, Elvis est aussi un reflet de l’évolution de la société américaine. Le chanteur de rock’n’roll n’est pas indifférent aux grands évènements politiques et sociaux qui bouleversent son temps – notamment l’assassinat de Martin Luther King et de Bobby Kennedy, deux figures du progressisme Américain. Influencé par son groupe de musique hippie, Elvis est encouragé à s’engager. Mais comme tout artiste renommé, Elvis a les mains attachées par le colonel et par son succès commercial qui l’empêchent de dire ouvertement ce qu’il pense. Mais Elvis avait entendu une fois quand il était jeune dire que « Quand tu ne peux pas dire quelque chose très fort, alors tu dois la chanter » : Elvis sabote son programme spécial de Noël et profite pour donner aux États-Unis un chant de protestation contre la violence et en faveur de la paix.  

Elvis est aussi le reflet d’une jeunesse en quête d’une nouvelle identité. Dans son premier concert du film, Elvis est habillé en rose. « Ils sont jolis tes vêtements de fille », crie quelqu’un dans le public. Et quelques secondes après, Elvis se libère et chante d’une manière si énergique qu’il réveille les pulsions sexuelles des jeunes filles du public. Ainsi, les plans s’alternent dynamiquement entre Elvis qui fait ses moves de danse et des filles qui crient frénétiquement en même temps que la caméra fait un zoom sur leurs visages. Peu de temps après, les filles sont possédées, elles désirent le « fruit de la tentation » qu’incarne Elvis sur scène. La jeunesse ne veut plus le country, le folk et le pop chantées par les musiciens blancs en Amérique – la jeunesse veut du rythme frénétique et des paroles envoutantes, incarnés par le rock’n’roll d’Elvis. Le King est une des faces d’une jeunesse qui découvre et s’approprie du rock – pensons aussi ensuite au rock psychédélique, au rock progressif, au Metal, autant de visages d’une nouvelle jeunesse anglo-saxonne plus rebelle que les anciennes générations. 

Finalement, Elvis est le reflet de l’artiste moderne partagé entre la « société du spectacle » et son libre esprit en quête de nouveauté dans la musique. Le film adopte un angle d’attaque original, se concentrant moins sur l’histoire personnelle d’Elvis – même si elle a une place importante dans le film, mais ce n’est pas ce qui fait de lui un film intéressant – que sur l’histoire intime d’Elvis avec son manager. Les deux personnages se rencontrent dans une fête foraine, dans la grande roue. C’est là où Elvis signe son « pacte avec le diable » – cette métaphore est filée tout au long du film, donnant un sens au fait que le personnage de Tom Hanks est peint comme un méchant, en quête uniquement d’argent, même si cette diabolisation du colonel devrait peut-être être relativisée par son passé obscur. Ensuite, Elvis devient un fruit de la tentation, et les cris des jeunes filles deviennent de l’argent qui va dans les poches du diable. Cette relation artiste – manager est celle dont tous les musiciens à succès sont victimes. Elvis ne peut pas rompre son contrat avec son manager, car le diable sait lui aussi tenter sa proie – le colonel parvient à garder Elvis aux États-Unis, lui promettant gloire et argent dans le nouvel hôtel de Las Vegas, à l’empêcher de faire sa tournée internationale car lui-même ne peut pas quitter le pays car étant un sans-papiers. À la fin, quand Elvis tente ultimement d’abandonner son manager, son père lui présente ses dettes colossales qu’il ne pourra jamais payer. « Moi, je suis toi, et toi, tu es moi », dit le Colonel à Elvis, le condamnant à rester aux États-Unis sans jamais pouvoir voyager dans le monde. L’artiste moderne doit choisir entre la richesse et la fortune et l’amour de son art – le film semble négliger un intermédiaire entre les deux, et c’est ce qui poussera Elvis à se droguer et décéder en 1977. 

Le film de Luhrmann saisit l’esprit d’Elvis, ses tourments personnels, avec un montage frénétique, dynamique, qui ne laissera pas le spectateur indifférent à l’histoire du King. Austin Butler incarne parfaitement Elvis Presley, son jeu d’acteur contribue à revivifier la rock star. Certes, la tentation des jeunes femmes est parfois surdramatisée, certes l’histoire de la star de rock n’est pas une des plus originales – elle semble suivre l’archétype classique de l’artiste inconnu qui, victime de son succès, succombe aux drogues et au sexe avant de trouver la mort – mais le réalisateur donne une nouvelle vie à la légende du rock. Le film reste profondément touchant : le choix du dernier concert d’Elvis, peu de temps avant sa mort, où le colonel décrit un homme fatigué, las, mais avec suffisamment d’énergie pour se déchaîner sur Unchained Melody, est l’apogée de l’émotion et de la compassion que ressent le spectateur face à cet hommage du septième art. D’un point de vue socio-historique, Luhrmann fait d’Elvis un reflet des grandes mutations sociales, politiques et culturelles qui traversent les États-Unis de la fin des années 1950 jusqu’aux années 1970 – personnellement, je trouve que c’est ça ce qui fait d’Elvis un biopic qui a bien plus d’impact que n’aurait pu avoir un simple documentaire sur la vie d’Elvis, et qui fait de lui, par conséquent, un très bon film que je conseille vivement au spectateur cet été. 

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