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Fahrenheit 9/11 – Pari pris, parti pris

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Cinéma et politique s’entrecroisent bien souvent, pour le meilleur et pour le pire dira-t-on. D’abord parce que certains cinéastes se voient confier la réalisation d’œuvres de propagande ouvertement politiques, dont certaines sont passées à la postérité. Parce que même aux Etats-Unis, on a cherché à le contraindre en faisant fi de la liberté de pensée et d’expression. Mais aussi surtout parce que nombreux sont les cinéastes pourfendeurs de l’art pour l’art, qui envisagent leurs œuvres au travers d’un prisme politique comme moyen d’affirmer leur regard. On peut alors penser que dans le cinéma comme ailleurs, la vérité réside dans l’équilibre, nuance entre la fiction et le discours.

Pourtant, Fahrenheit 9/11 ne s’embarrasse a priori pas de nuance. Pas de fiction, cela va de soi pour un documentaire, et une approche résolument radicale libérée des carcans de la fausse subtilité à laquelle tant et tant de films politiques se heurtent. Parti pris contre l‘objectivité, pari pris vis-à-vis du spectateur.
Fahrenheit 9/11 est un film à la complexité enfouie sous les pieds de nez. Brûlot anti-Bush (père, fils, frère, tout le monde y passe), brûlot antimilitariste, brûlot anti-sécuritaire, ironie martelée comme arme contre les armes qui tuent en Irak, voilà la mitraillette Michael Moore en action. L’occasion aussi de dire pour une première fois pourquoi Fahrenheit 9/11 est un véritable film de cinéma, grâce à un montage aux fulgurances comiques et à la démonstration que les images d’archive en disent souvent plus que n’importe quel discours.

Pour autant, s’il n’était qu’un déversement d’humour acerbe, Fahrenheit 9/11 n’aurait pas grand intérêt, tant la dissidence comique est désormais répandue.
Le choc que peut susciter Fahrenheit 9/11 repose ailleurs. Assez logiquement, ce n’est pas le caractère ridicule mais bien le caractère tragique de ce qu’il décrit qui lui confère sa première couche de complexité. Car aussi imbéciles ou débonnaires que puissent paraître les acteurs de la tragicomédie Fahrenheit 9/11, ce sont les destins brisés de ceux qui paient les pots cassés qui frappent. Deuxième occasion de dire pourquoi il s’agit d’un film de cinéma, grâce à son réalisme radical, son approche sans fard, au sens propre comme au sens figuré. Fahrenheit 9/11 cherche à mettre à nu les logiques cyniques qui régissent la réponse au tragique, et avec elles les politiciens cyniques qui les mettent en application.

Dès lors, en dépit de son apparente simplicité, Fahrenheit 9/11 se construit en marge d’un manichéisme primaire, au moyen d’un travail d’investigation minutieux que la virulence du discours ne devrait pas occulter. C’est pourquoi il se révèle être exigeant vis-à-vis du spectateur. Exigeant parce que même s’il se présente plus qu’explicitement comme politique, il n’en demeure pas moins une œuvre appréciable pour elle-même, en dehors de sa mise en contexte politique et géopolitique et des polémiques qui en naissent. Fahrenheit 9/11 glisse de la dénonciation vers les individus, laissant transparaître un humanisme militant plutôt qu’une simple mise en accusation publique et sans contradicteur.

Le pari de cette complexité dissimulée était ambitieux. Aussi bien lors du festival de Cannes 2004 que lors de sa diffusion en salles aux Etats-Unis, elle a été occultée par les enjeux politiques des années électorales et des jeux d’influence culturels. Pari en partie raté donc, même si Fahrenheit 9/11 a représenté un succès sans précédent au box-office pour un documentaire, signe peut-être que le public s’y est moins trompé que la critique, entre contempteurs et détracteurs.
On peut donc s’interroger quant aux raisons qui ont poussé le jury du festival de Cannes à lui attribuer la Palme d’or, alors même que les distinctions suprêmes sont rarissimes pour les documentaires. Ou plutôt se demander si ce film n’a pas été récompensé en dépit de sa beauté, en tant que manifeste incendiaire et non en tant qu’œuvre de cinéma. C’est aussi pourquoi sa disparition progressive des canaux de distribution, légaux en tous cas, a de quoi attrister.
Parce que ce qui achève de faire de Fahrenheit 9/11 une œuvre de cinéma à part entière repose ici. Alors même que l’ère Bush s’est achevée depuis longtemps déjà, que ses protagonistes disparaissent peu à peu et que les soldats américains quittent enfin le Proche-Orient sans avoir rien résolu, il conserve sa force et sa validité. Preuve si l’en est que Fahrenheit 9/11 n’est pas un tract que l’on jette sitôt vu.

 

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