Cinéma

BAC Nord (1) – On l’appelle l’ovni

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À Cannes, en dépit de la réputation élitiste qui est habituellement faite au festival, s’invitent chaque année de nombreux films d’action. Américains le plus souvent, avec cet été le neuvième épisode de la saga Fast & Furious, mais également français parfois, fièrement représentés ici par le BAC Nord de Cédric Jimenez. Blockbuster à la française donc, et qui ne fut pas présenté sans laisser poindre derrière lui quelques polémiques : film de droite ? Pro-flic ? À éviter, à combattre ? Il semble que beaucoup de critiques s’acharnent sur l’imposture politique que serait le film, si bien qu’ils en oublient l’essentiel : Libération déteste, Valeurs Actuelles adore, l’ordre des choses est respecté et personne ne parle de cinéma. Bien des choses à dire pourtant sur le plan strictement cinémtographique, tant ce BAC Nord se révèle mauvais à tous les étages.

Le film est inspiré d’une histoire vraie, comme aiment le surligner lourdement des centaines de films, y compris celui de Jimenez, qui nous raconte le parcours de trois policiers en proie à la violence de leur environnement : violence des quartiers Nord, du trafic, de la hiérarchie policière. Leurs pérégrinations seront évidemment semées d’embuches, et les pousseront vers des actes répréhensibles. À la croisée des chemins, entre le thriller classique et le western urbain, Jimenez n’ambitionne hélas jamais de faire approcher les tourments de ses personnages : il se range bien sagement de leur côté pour fournir le film lisse qu’on attend de lui.

Par où commencer, sinon en affirmant d’emblée que BAC Nord est si effarant de bêtise et de pauvreté qu’il en devient désarmant ? On pourrait évidemment pointer la représentation animalière des habitants des quartiers Nord – dont on apprend vraisemblablement qu’ils ne savent pas parler ou se mouvoir comme le reste des humains : ils grognent et braillent, s’agitent compulsivement derrière leur bandana et leur kalach –, mais ce serait presque trop facile. La vraie bêtise, la véritable plaie, c’est de se trouver devant un film comme dépourvu de toute écriture. On critique le point de vue pro-flic adopté par le cinéaste, mais là n’est pas le problème : d’autres avant lui ont su épouser le regard policier avec force et justesse, Clint Eastwood au cinéma, The Shield ou The Wire à la télévision. Jimenez n’a hélas pas le dixième du quart du génie des artistes et œuvres sus-cités, et patauge dans la soupe si mal qu’il s’y noie. Jamais, à aucun moment, n’est-il fait question d’une quelconque ambiguïté, d’un trouble, de défaillances propres aux personnages, de leurs responsabilités : ils sont et resteront, de la première à la dernière image, des victimes. Victimes dans les quartiers, victimes face à leur hiérarchie, victimes d’un système oppresseur et dont ils seraient exclus. Point de vue victimaire qui trouve son apogée dans un dernier tiers presque embarrassant de nullité, qui rejoue bas du front des scènes vues et revues cent fois, sans une once de finesse. À cela s’ajoutent des dialogues à la pauvreté affligeante, au naturel plus que forcé, des situations et personnages sous-écrits, rien qui ne puisse véritablement sortir le film de sa torpeur générale – à l’exception peut-être de quelques moments suspendus, La bandite en prime.

Dans le marasme de cette écriture sans envergure, la distribution fait ce qu’elle peut pour surnager, c’est-à-dire pas grand-chose. À ce titre, les rôles féminins semblent mieux pourvus : comme à son habitude, Adèle Exarchopoulos resplendit, tandis que Kenza Fortas porte à bout de bras son personnage hélas sous-exploité. Pour le reste, c’est au mieux légèrement embarrassant, au pire triste à voir. François Civil a vraisemblablement passé quelques semaines à la salle : c’est bien, tant mieux pour lui. Encore faut-il arriver à conserver l’accent de son personnage, et ne pas être alternativement, d’une phrase l’autre, parisien ou marseillais. Karim Leklou est comme oublié sitôt qu’il est vu. Quant à Gilles Lelouch, il fait du Gilles Lelouch : prend des airs renfrognés lorsqu’il est contrarié et crie fort lorsqu’il est en colère – le tout culminant pendant le fameux dernier acte, doloriste à souhait, et qui offre à Gilles l’occasion d’exposer sa palette de faciès souffreteux.

On parle ici ou là de film à la mise en scène nerveuse et tendue, mais c’est au mieux faire preuve de mauvaise foi. La shakycam, dénoncée par tous lorsqu’il s’agit de blockbusters américains, est ici consacrée comme idéal de mise en scène pour des raisons qui, comme les voies du Seigneur, sont impénétrables. En ce sens, Jimenez a le mérite de ne se rêver que Michael Bay, mais n’a même pas les moyens de l’atteindre. On ne dira jamais assez le poison qu’est devenue la caméra à l’épaule, presque bazardée dans tous les sens, et qui ne sert jamais rien d’autre que des scènes fouillis et bientôt illisibles. Tous les grands films d’action nous montrent les vertus du plan long, du mouvement soigné, de la composition savamment faite, mais Jimenez préfère courir sa caméra à la main, en espérant qu’on court avec : hélas non.

Autre problème, et qui recèle peut-être la véritable honte du film : cette négation méprisante des choses dites et montrées. Que le film adopte le point de vue des policiers, qu’il se conçoive comme un shoot d’adrénaline droitier et viril ne me pose a priori aucun soucis – encore faut-il, comme nous le disions, que le talent suive. Mais que M. Jimenez prenne des airs étonnés lorsqu’en conférence de presse ce même point de vue est questionné, qu’il réponde que son film n’est pas politique, ne porte aucun message, qu’il n’ait même pas conscience de la teneur de son travail ou qu’il ne veuille pas voir : voilà qui devient problématique. Car à trop vouloir prendre ses spectateurs pour des veaux, il arrive qu’on s’habitue au crottin. Peut-être le cinéaste ne veut-il pas faire mauvais genre en assumant son point de vue, peut-être est-il si bête qu’il pense sincèrement son film apolitique, il reste que la posture adoptée semble profondément malhonnête.

La critique est acerbe, mais c’est que le film, déjà mauvais, n’est pas aidé par ceux qui le défendent. Rappelons tout de même que tout n’est pas immonde, et que certaines séquences s’avèrent plus réussies : la descente attendue dans les quartiers par exemple, bien que pétrie de défauts, a le mérite d’être fluide et de bien agencer les situations éparses. Mais le tout ne saurait échapper à la lourdeur constante et presque revendiquée.
Cédric Jimenez serait-il donc un ovni du cinéma français, porté par son goût pour le film d’action, et de droite pour couronner le tout ? Hélas non, il n’est qu’un piètre cinéaste, dont la bêtise est encore outrepassée par l’incapacité désarmante à faire du cinéma. S’ajoute, pour ne rien arranger, l’outrecuidance de nier les faits. Bref, heureusement qu’il y a du Jul.

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Luca Mongai
Rédacteur en chef de la Cinémat'HEC pour l'année 2021-2022.

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