Cinéma

De nos frères blessés – L’honneur d’un peuple

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Théâtre d’un réveil de passions nauséabondes, la France de 2022 a besoin de récits qui lui rappellent ce qu’elle a traversé, et surtout, ce qu’elle a commis. Droit dans les yeux, le regard étincelant, Fernand Iveton, protagoniste majeur du dernier long-métrage d’Hélier Cisterne, se tient debout devant des hommes injustes et un Etat aveugle ou pire, assassin et bourreau. Il rappelle à chacun de nous, dans un film d’une charge émotionnelle intense où se mêlent l’intime et le grandiose, à quel point l’Histoire est pleine de cicatrices que rien ne sert de dissimuler.

Ouvrier de métier, Fernand Iveton, fervent militant communiste, rencontre l’immigré polonaise Hélène à Paris. Emporté par un amour fiévreux, le jeune couple s’installe à Alger, où Fernand travaille à l’usine. Mais alors que le pays est à feu et à sang, la lutte pour l’indépendance s’intensifiant, Iveton choisit de se battre, avec ardeur, aux côtés des siens, le peuple algérien en quête de liberté, contre une France inique et cruelle. Courageux mais rattrapé par les rouages d’une machine étatique et judiciaire surpuissante, il se battra jusqu’à la fin pour l’honneur de son pays, l’Algérie.

En réglant son objectif d’abord sur la naissance du sentiment amoureux entre Hélène et Fernand, Hélier Cisterne, dont il s’agit seulement du second long-métrage, choisit de donner corps à ces personnages en dehors de la grande intrigue politique qui cadence le récit. Cette technique n’est pas révolutionnaire mais rend moins brutale la force politique d’un film qui ne s’enferme pas dans le simple film-dossier – qui peut être de qualité – ou fable pamphlétaire. Le spectateur est alors en mesure de s’attacher un tant soit peu aux protagonistes, mais surtout de découvrir ce qui les anime avant de le voir explicitement dévoilé, par l’acte. L’idée, la parole précède, comme souvent, l’action directe et il est pertinent d’en faire état.

Mais rompons l’analyse chronologique du film pour saisir ce qui fait la richesse de son propos. Fernand Iveton, personnage historique, seul Européen exécuté lors de la guerre d’Algérie pour son engagement auprès du FLN, a donc la consistance d’un réel héros dramatique. Encore faut-il retranscrire avec verve ce matériau narratif particulièrement intéressant ; et c’est ce que réussit avec une indubitable envie Hélier Cisterne. Cœur du récit, porté par un interprète au sommet de son art – Vincent Lacoste – Iveton est ce que l’on attend d’un héros historique : il porte en lui les stigmates d’une époque révolue mais douloureuse, et devient de ce fait un témoignage expressif de ce qu’est l’horreur de l’époque, entre défaillance scandaleuse de l’Etat français et rêve de libération d’un peuple méprisé et exploité par l’impérialisme français. 

Avec justesse, le jeune cinéaste lotois dépeint l’orage qui tourmente la famille d’Iveton – sa femme, son fils adoptif qui veut le suivre dans son engagement, et son père, engagé lui aussi dans cette lutte sans merci pour la liberté – et plus généralement tous ses proches. Lacoste est Iveton, il donne une puissance à son personnage parfois compliquée à trouver dans ce genre fictionnel, celui de l’histoire vraie. Déterminé dans son entreprise, il incarne à la perfection le dévouement total d’un individu pour une cause qui le dépasse, pour lesquels ses actes n’auront pas forcément l’effet escompté ; mais il y va quand même, il fait ce qu’il estime bon, en fonction de sa propre morale, jusqu’au bout : la mort avant le déshonneur.

Filmé sobrement, compréhensible au vu de la gravité de son histoire, De nos frères blessés jouit d’une mise en scène veut dire quelque chose : l’oppression et la répression des Algériens arabes et de ceux qui se battent à leurs côtés par l’Etat français de Messieurs Coty et Mitterrand est rendue à l’écran par des effets bienvenus qui immergent dans ces temps troublés. Alger est magnifique, irascible mais douce, intranquille alors que s’écrit sur ses pavés l’Histoire, la grande Histoire.

Œuvre importante comme on aime à dire, De nos frères blessés, tourné il y a déjà quatre ans, sort au bon moment, alors que certains jouent sur la nostalgie d’une France arriérée, cruelle et injuste, dont les plaies sont encore ouvertes et brûlantes. Fernand Iveton a le visage du Juste, il ne tremble pas, vacille quelque fois mais reste digne, contre un système inique, criminel et meurtrier. Debout, jusqu’au bout, jusqu’à l’inéluctable. « Tahia Djazaïr ».

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