Cinéma

En corps – Les fêlures du rêve

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Casting quatre étoiles, avant-première en grande pompe sur les Champs-Elysées, dans la somptueuse grande salle de l’UGC Normandie, et thématique originale – le fall and rise d’une danseuse – font de ce nouveau Klapisch un petit événement dans un début d’année relativement calme dans le cinéma français grand public. En corps est ce que l’on attend de lui : un joli récit, qui ne surprend pas mais ne déçoit pas, qui fait sans doute du bien au moral de certains et qui, par fulgurances, saisit quelque chose de beau, dans un ensemble somme toute conventionnel.

Elise, jeune danseuse de ballet, fierté de son entourage, s’écroule lors d’un concert, victime d’une déchirure. Peu après, elle apprend de la bouche des médecins qu’elle ne pourra pas reprendre la danse classique, tout du moins à moyen terme. Mais les rencontres qu’elle va faire va l’emmener jusque dans la Bretagne reculée, où une troupe de danse contemporaine, dirigée par un prestigieux chorégraphe, vient préparer son spectacle. Au fur et à mesure qu’elle fait leur connaissance, Elise va retrouver ses sensations et reprendre peu à peu foi en sa passion…

A son habitude, Cédric Klapisch s’attarde sur le destin d’une protagoniste jeune, avec tout ce que cela implique de complexité et d’insouciance. S’il ne parvient à retranscrire qu’en partie l’explosif bouillonnement de la jeunesse – le rythme de son métrage imposant au spectateur un enchaînement rapide de scènes, ne laissant pas le temps du réel s’écouler – le cinéaste neuilléen réussit au moins son coup en ce qu’il capte le plus précieux sentiment de son personnage : la frustration face à la fatalité. Elise n’est en rien maître de son destin et subit avant de recouvrer l’espoir, au gré des inclinaisons du monde et d’agents extérieurs. Cette angoisse profonde, inextricable de la vingtaine, de ces années où l’on décide de la direction que l’on va donner à notre existence, est bien là dans En corps, par intermittences certes, mais là.

Fort de personnages caractérisés principalement par leurs interprètes – de talent mais engoncés dans un texte parfois trop prévisible et traditionnel – le dernier Klapisch ne perd donc pas de temps et se concentre sur son intrigue, sur le fall and rise d’Elise. Marion Barbeau est surprenante de vivacité et de justesse, surnageant parfois au milieu de scènes vues des dizaines de fois dans le cinéma français. C’est bien là le défaut majeur du film, son manque d’inventivité. Non pas qu’il soit déplaisant, le moment est même plutôt agréable, mais rien ne vient bousculer un tant soit peu – hormis les premières scènes, brillantes, et le générique particulièrement intéressant – les codes du genre. Drame français comme on sait les faire, bien travaillé certes, et loin d’être un mauvais film, En corps n’a simplement pas la prétention d’être plus qu’un film plaisant, d’être une ligne de plus dans la filmographie d’un des auteurs les plus reconnus du paysage cinématographique français contemporain.

Il faut reconnaître, tout de même, le savoir-faire de son géniteur. L’image est propre – lisse diront les mauvaises langues – mais la beauté du milieu qu’elle donne à voir – celui de la danse, sous toutes ses formes – lui donne une aspérité bienvenue. La virtuosité du chorégraphe israélien Hofesh Shechter, forcément impliqué sur le travail de mise en scène au vu de la nature du film, offre au film un accès à une dimension supérieure et l’extrait de sa couleur latente, trop attendue. Les scènes de danse, au début évidemment par leur aspect majestueux, mais tout au long de la rééducation d’Elise et de sa rencontre affirmée avec la troupe de Shechter, sont les moments les plus forts du film, en ce qu’ils parviennent à faire leur l’une des puissances principielles du septième art : celui de capter tous les autres.

En corps vaut donc le coup d’être vu, rien que pour ce dernier élément, constitutif de la richesse de la palette d’un cinéaste de talent. Mais cela ne va pas plus loin, tant la faiblesse de son propos, joli mais trop convenu, ne donne pas au film la teneur qu’il aurait pu avoir. On retiendra une ambition formelle certaine, un moment sympathique passé avec des comédiennes et comédiens que l’on apprécie et une histoire qui donnera un peu d’espoir ou de baume au cœur à ceux qui en ont besoin. C’est déjà pas mal, finalement.

6.5

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