Cinéma

Debout les femmes ! – Le temps de la colère

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Les quelques centaines d’étudiants des amphithéâtres 24 et 34A du campus de Jussieu qui ont bravé le froid parisien pour assister à une projection exceptionnelle du nouveau film de François Ruffin et Gilles Perret ont compris. Car c’est bien là la vocation du cinéma du député de la Somme : faire comprendre, donner à voir une réalité crue, dure, injustement ignorée mais terriblement touchante. Debout les femmes !, troisième long-métrage documentaire du genre, s’intéresse à ces professions oubliées, négligées, le plus souvent assurées par des femmes, qui paraissent invisibles tant leur condition n’intéresse visiblement pas le corps politique dans son ensemble. Mais Ruffin leur donne une voix, se fait le porte-parole de celles qui n’en ont pas et racontent, comme toujours, par la même occasion, une partie de lui-même.

Le point de départ de ce « road-trip parlementaire » se trouve être une rencontre sur le papier improbable entre le député France insoumise, François Ruffin, et le député La République en marche, Bruno Bonnell. Ce dernier est chargé de superviser la mission du premier cité qui consiste en la rédaction d’un rapport et d’une proposition de loi sur ce qu’il appelle les « métiers du lien » : auxiliaires de vie, aides à domicile, femmes de ménages… Les premiers a priori dépassés, ces deux hommes que tout oppose vont parcourir la France, à la rencontre de celles qui, des locaux de l’Assemblée nationale jusqu’à la campagne normande, luttent au quotidien pour survivre dans des conditions extrêmement difficiles. Ce voyage va leur faire prendre conscience que la France ne sait pas à quel point elle est redevable à ses enfants qu’elle méprise et va, du même fait, faire naître une amitié entre deux personnages si éloignés…

Dans son style sans ambages, le spécialiste du documentaire engagé qu’est Ruffin – accompagné par son acolyte réalisateur Gilles Perret – nous emmène avec lui dans ce qui s’apparente à une odyssée fatale, confrontant au regard du spectateur les témoignages poignants de femmes qui galèrent véritablement, qui aiment ce qu’elles font – aider – mais qui encaissent tellement en contrepartie que l’existence leur devient insupportable. La force du film, en ce qu’il ressemble sur ce point au précédent, réside dans sa portée narrative, éludant ainsi tout le potentiel désespoir qui s’en dégagerait ou pire, un ennui qui inviterait à l’indifférence. Car, comme l’a dit François Ruffin devant les étudiants de La Sorbonne, « l’ennemi, c’est la finance, mais c’est surtout l’indifférence ». Force est de constater que le député de la Somme applique ses préceptes théoriques dans ses œuvres, et qu’il ne se contente pas de conter une réalité sans tenter de la changer. La force évocatrice de certains moments de Debout les femmes ! témoignent de cette volonté et la scène finale, climax émotionnel du documentaire, où les femmes prennent littéralement la parole, mais pas n’importe quelle parole, la parole du pouvoir qu’elles n’ont pas, celle des représentants de la République qui ne les représentent pas mais les méprisent.

La construction scénaristique du documentaire – si tant est que cette formule ne soit pas impropre – constitue alors paradoxalement sa force première, plus que sa réalisation, convenue la plupart du temps, excepté la mise en scène finale qui donne une vigueur inattendue et donne une force nouvelle au propos qu’elle sous-tend. Rythmé de sorte qu’il est impossible de décrocher, le métrage de Ruffin et Perret dispose de certaines qualités propres à la fiction alors qu’il est on ne peut plus ancré dans le réel. L’enjeu – de bien moindre importance certes que la condition de ces femmes qui luttent pour subsister – de la relation entre Bruno Bonnell et François Ruffin, ainsi que le regard désabusé sur les mécanismes de l’Assemblée nationale – une scène marquante du film étant, par un habile montage, les refus répétés qu’encaisse le député LFI à chaque amendement de son projet de loi – sont particulièrement bien travaillés et donnent une dimension supplémentaire à un film qui dépasse le simple cadre du documentaire traditionnel.

Œuvre nerveuse et puissante, Debout les femmes ! continue de faire grandir le cinéma politique de François Ruffin et donne foi en un avenir meilleur. Pas à pas, en soufflant sur les braises malgré la tempête, il y a quelque chose à faire avancer, il y a espoir en une existence nouvelle pour celles et ceux qui vivent avec la peur sur le cœur. Les mots de Gramsci, ceux de Ruffin, les nôtres, résonnent dans le vacarme :

« Pessimistes par l’intelligence mais optimistes par la volonté ».

8.5

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