Cinéma

Spider-Man : No Way Home – L’invasion des profanateurs de sépulture

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Deux ans ont passé depuis Avengers Endgame, et le Marvel Cinematic Universe semblait s’enfoncer dans une période creuse. Après s’être détaché des super-héros originels, Marvel s’est vu forcé dans ce début de phase 4 à redonner de l’importance à des personnages anecdotiques (Black Widow) ou alors tout simplement à investir de nouvelles figures à l’intérêt discutable (Shang-Chi & Les éternels). Cette sensation de redémarrage à zéro s’explique aussi par la migration d’une partie du casting des salles vers Disney+, où WandaVision, Falcon et Loki en tête ont déjà récupéré ce qu’il restait des anciens personnages connus. Aussi l’arrivée de ce Spider-Man : No Way Home donnait-elle l’espoir d’un nouveau départ pour le MCU. Machine à hype démentielle, peut-être le film le plus attendu de l’année, le quatrième film de la phase 4 avait tout pour se hisser parmi les Marvel les plus ambitieux, mais qu’en est-il réellement ?

Cet article contiendra des spoilers sur l’intrigue. Bien qu’il n’y ait en réalité qu’un élément qui mérite l’appellation de spoiler, et qui pourrait se limiter à un « oui » ou à un « non » à une question que les fans se posent depuis le début de la campagne de communication, il est tout de même conseillé d’avoir vu le film avant de lire ces lignes.

La première chose à noter est que Spider-Man : No Way Home n’est pas un film de super-héros, c’est une comédie. Certes, le MCU a toujours eu une certaine affection pour l’humour, mais le comique atteint ici un point de rupture qui le pousse à cannibaliser tout le reste des thématiques abordées. Cet aspect comique est annoncé dès les premières scènes, via cette foule en colère aussi caricaturale que surréaliste. Il y au début du film un penchant vers un absurde qui force la surprise, avec en tête de liste le livre écrit par Flash Thompson puis édité en visiblement quelques heures sur son amitié avec Peter Parker. Cette tendance à l’exagération s’assemble à une utilisation plus classique de l’autodérision, moyen habituel des Marvel de désamorcer leurs propres scènes : Happy disant « on a compris que vous vous aimez » après un échange niais entre Parker et MJ, ou alors Strange pointant du doigt la faiblesse du scénario quand il apprend que Peter n’a même pas tenté de contacter le MIT avant de tenter le sortilège d’amnésie. Ces utilisations sont attendues et récurrentes (dans Les éternels, on se moquait du nom ridicule d’une arme magique avant de l’utiliser au premier degré) et font état du peu de confiance qu’ont les scénaristes en leur propre histoire, comme si se moquer de la faiblesse de leur écriture suffisait à en minimiser le grotesque.

Mais, après tout, que les auteurs de Marvel soient conscients de la pauvreté de leur scénario ne peut pas leur être reproché en soit, au moins font-ils preuve de lucidité, à défaut de sincérité. Le problème est qu’ici, ce n’est pas uniquement de leur univers qu’ils se moquent, puisque le concept de No Way Home consiste à faire revenir les antagonistes des anciens films Spider-Man (ceux de Sam Raimi et Marc Webb). Non content de forcer une comparaison qui n’est clairement pas au profit du film de Jon Watts (regardez un affrontement entre Octopus et Spider-Man dans le film de 2004, vous remarquerez assez vite l’abysse qui sépare les deux), ce partage d’univers amène aussi les grandes figures des anciens opus à passer par le filtre comique Marvel. Ainsi, des personnages aussi emblématiques que le Bouffon Vert et Otto Octavius sont moqués pour leur prénom, tournés en ridicule, et finissent eux-aussi par faire des bons mots, parce que Jon Watts est incapable de prendre au sérieux ce qu’il filme.  Là est peut-être d’ailleurs la raison pour laquelle, 15 ans après, on se souvient encore de tous les méchants des films de Sam Raimi, alors qu’à part Loki et Thanos, tous ceux du MCU ont sombré dans l’oubli.

Évidemment, cette démarche-là atteint son paroxysme avec l’apparition de Tobey Maguire et Andrew Garfield. La fameuse apparition, tant attendue par les fans. Choix de mise en scène étrange, ils sont introduits dans une cuisine, et presque à la manière d’une sitcom, on s’attend à entendre les applaudissements du public en les voyant entrer dans la pièce. Après quoi, toujours dans un format qui tient plus de la sitcom que du film de super-héros, ils feront des blagues pendant dix minutes. On parle donc de réanimer des acteurs de super-héros parmi les plus emblématiques de ces dernières années pour les coincer dans une cuisine et leur faire aligner des gags simplets, avant de les envoyer donner un discours moralisateur, puis refaire quelques blagues et enfin se battre dans un climax tristement banal. Par conséquent, au vu de la pauvreté de l’usage de ces acteurs, on peut se dire que l’extase provoquée par leur apparition se réduit exclusivement à leur existence au sein du film. Ils sont là, point final. Marvel a donc réussi à faire hurler de joie des millions de spectateurs simplement par la capacité de leurs cadres et de leurs juristes à signer des contrats avec d’anciennes stars. Le divertissement moderne ne tiendrait donc plus dans la créativité des réalisateurs, mais dans le talent des producteurs de Disney en négociation.

Au-delà de tout ça, il faut aussi noter de manière plus sommaire la bêtise du film, et le nombre d’incohérences qui nous sont proposées à la minute. Le point de départ de ce scénario, le fameux sortilège d’amnésie, sonne déjà totalement comme un prétexte. D’abord parce qu’il admet que ni Strange ni Parker ne réfléchissent avant de le lancer (il s’écoule 30 secondes entre la proposition et l’exécution) mais surtout parce qu’il s’agit d’un sortilège d’amnésie. Comme Strange l’explique, il n’a plus la pierre du temps, il ne peut donc pas remonter dans le passé, mais simplement faire oublier aux gens. Dans ce cas, qu’arrive-t-il à toutes les vidéos archivées où le nom de Peter Parker est associé à Spider-Man, les replay de la télévision, les dossiers des policiers qui l’ont interrogé, la lettre de refus du MIT ? Toutes ces données stockées sont autant de preuves qui, même si tout le monde oubliait, finiraient par ressortir.             

Par ailleurs, et comme très souvent chez Marvel, les scènes de combat sont d’une gigantesque inconséquence. On peut traverser le plancher de trois étages, subir une explosion de bombe à 2cm du visage, et toujours gambader gaiement. Là-encore, il faut revoir les combats des films de Sam Raimi, où les coups de poing étaient douloureux, et où une simple éraflure devenait un vrai sujet d’intrigue. Il y avait un rapport au réel et aux enjeux qui créait une tension aujourd’hui totalement absente, la surenchère dans la destruction aboutissant à un aplatissement général. Pour dire, Tante May aurait très bien pu ne pas mourir dans ce hall, malgré tout ce qu’elle a traversé, et personne n’aurait été surpris. Alors effectivement, le passage dans la dimension Miroir de Strange est plus inventif que le reste, mais demeure superficiel : on se contente de se balader dans de jolis effets visuels sans jouer dessus, avant de faire une (mauvaise) blague sur les maths en citant la formule du rayon d’un cercle pour avoir l’air intelligent (ce qui en dit long sur la façon qu’a Marvel de percevoir son audience).

Il y aurait encore énormément de choses à reprocher à Spider-Man : No Way Home, mais finalement le réel problème du film peut se résumer assez simplement : Jon Watts n’était bon dans les deux premiers que lorsqu’il flirtait avec le teen-movie Netflix. C’était là, dans l’absence totale d’ambition, que ses films étaient les plus supportables. Or ici, le lycée a disparu, la classe aussi, et Parker est déjà en couple avec MJ : Watts ne pouvant donc plus intégrer un teen-movie à son film de super-héros, le pauvre est totalement déboussolé. Et nous aussi du coup. Peut-être est-il temps de lui donner A tous les garçons que j’ai aimés 3, et d’ouvrir une faille du multivers pour faire revenir Sam Raimi afin de lui offrir Spider-Man 4 ?

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