Cinéma

La Trilogie l’Exorciste – Variations sur Pazuzu

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Un obscur vendeur de DVDs dans une boutique lyonnaise m’a un jour dit « Friedkin a inventé le genre et l’a tué en même temps. Personne n’a fait mieux en termes de films de possession depuis l’Exorciste de 1973. »

Je trouve cette affirmation très riche pour commencer un article sur la trilogie des Exorciste. En effet, je trouve que le premier reste un classique du cinéma d’horreur, du cinéma tout court. On serait alors tenté de se dire que les II et III ne sont que de pâles copies qui reprennent bêtement les codes des films de possession et qui n’arrivent pas à la cheville de l’original. Faux ! Faux ! Archi-faux ! J’ai envie de dire menteur ! Ce serait commettre un énorme écueil que de faire ce raccourci. Laissez-moi vous décrire et tenter de vous analyser à quoi vous avez affaire lorsqu’on parle de la trilogie de L’Exorciste. Je vais m’efforcer d’expliquer la cohérence et l’intérêt qu’on peut trouver dans l’ensemble des 3 films.

Il existe pour moi 2 types de trilogies. Celles où des suites ont été rajoutées pour continuer à surfer sur un succès commercial – prenons Taken par exemple –, et qui généralement s’enfoncent plus profondément dans la bêtise et la nullité. Mais il y a les suites qui arrivent à offrir quelque chose de plus, quelque chose de différent tout en conservant l’esprit de départ, parfois même en le bonifiant. J’ai envie de considérer la trilogie des Exorciste comme une de ces trilogies là car les Exorciste II et III sont à mon avis trop peu connus ou trop rapidement délaissés. Souvent, et moi le premier, on entend « Exorciste », mot qui sonne culte, suivi de « 3 », chiffre qui parait déjà trop grand, et l’on s’imagine un film au scénario répétitif bourré de clichés. Bref, on s’imagine un film sans intérêt, si ce n’est mauvais. Or, si je pouvais faire une analogie de la série des Exorciste avec une autre série de films cultes, je la ferai avec la série des Alien (cf. le podcast Rembobinez de la Cinémat’hec). En effet, si certains sont mieux que d’autres, rien n’est à jeter dans la série des Alien car chaque film est amplement différent et marqué par la patte de son époque et de son réalisateur tout en conservant le même univers initial dont nous sommes amoureux. C’est exactement le cas pour la série des Exorciste et je m’en vais désormais un peu plus dans le détail.

Le premier volet est inimitable. C’est réellement un film d’horreur au sens propre du terme. William Friedkin nous emmène sur la piste d’un ancien démon mésopotamien qui prend possession d’une jeune fille dans la banlieue de Washington. Dans ce film Max von Sidow et son acolyte Jason Miller questionnent leur foi suite à leur rencontre avec le mal et cette œuvre donne naissance au genre des films de possession. Friedkin est donc à l’origine de tous les plans plus cultes les uns que les autres comme quand la fille possédée s’élève dans les airs au-dessus de son lit, quand elle descend les escaliers à l’envers ou qu’elle parle à l’envers. C’est du jamais vu et c’est complètement terrifiant en 1973. Le premier volet est donc un film culte et classique dans le genre de la possession. 

Le deuxième volet est un film mystique. Suite directe du I, Richard Burton est un prêtre envoyé pour enquêter sur les évènements passés et suivre la jeune fille et son évolution. Bientôt obsédé par le démon Pazuzu, il s’obstine à suivre sa trace jusqu’en Ethiopie afin de comprendre ce mal et d’essayer de guérir une bonne fois pour toute la jeune fille. Réalisé par John Boorman, ce film parfois très contemplatif donne naissance à de folles images presque bibliques. Je pense notamment aux plans censés se passer en Ethiopie où des hordes d’insectes ravagent des cultures sous un soleil crépusculaire alors qu’un jeune Ethiopien muni d’une fronde affronte le nuage de bêtes. Dans ce long métrage, les scènes d’épouvante troquent leur place contre des effets visuels très recherchés et une quête mystique pour découvrir les racines du mal. L’iconique musique de l’exorciste est également remplacée par la virtuosité d’Ennio Morricone. Tout cela fait que le volet est à voir, car il explore des pistes autres que celles du précédent et il génère chez le spectateur des émotions très différentes.

Le troisième volet a plus à voir avec les films policiers que les films d’horreur. Georges C. Scott joue un vieux commissaire de police qui enquête sur une série de meurtres ignobles ayant eu lieu dans sa ville. Son enquête le mène dans un asile psychiatrique dans lequel la majorité de l’action va avoir lieu. Ce film est encore très différent des deux précédents. Mettant avant tout l’accent sur les dialogues et la performance des acteurs, il arrive parfois à nous glacer le sang grâce aux immenses prestations de Brad Dourif, Jason Miller et Georges C. Scott. Ici le long métrage alterne entre films noir et films d’angoisse car certaines scènes amènent des screamers (qui ont certes un peu vieillis) et des effets plus classiques des films de possession. A cela il faut ajouter une ambiance assez poisseuse qui règne sur le film, ambiance qui n’est pas sans rappeler certains films des années 1980 comme Angel Heart : une sorte de bourdonnement aigu retentit dans nos oreilles lorsque l’on visionne certaines scènes, on sent le cœur des acteurs battre de plus en plus rapidement et on s’attend à voir une mare de sang se déverser au ralenti…

Vous l’aurez compris, chaque partie de cette trilogie recèle d’aspects passionnants et propres à elle-même. Entre un film fondateur et traitant purement de possession et d’horreur, un film mystique à la recherche de la lutte contre le mal ou encore un film policier nous glaçant le sang par son univers des plus sombres, chaque volet de cette trilogie offre quelque chose de nouveau, une nouvelle approche intéressante face aux problématiques qui globalement restent similaires. Chaque film nous fait ressentir quelque chose de différent et constitue donc une expérience de visionnage différente. Même si le premier reste le meilleur car il jouit du statut de film fondateur, il ne faut pas dénigrer les deux autres et il faut rester ouvert à ce qu’ils offrent comme suites tout à fait légitimes.

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