Cinéma

Médecin de nuit — du côté des damnés

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Les lumières s’éteignent et, au creux de la froideur parisienne qui découle dès les premiers instants du film, jaillit la lueur des œuvres frappantes. Car Médecin de nuit est de celles-ci. De celles qui impriment une marque qu’il sera difficile d’arracher. Le troisième long-métrage d’Elie Wajeman, notamment auteur du décrié Les Anarchistes, conte le destin d’un homme qui se démène comme il peut, pour lui mais surtout pour les autres, dans un Paris des laissés-pour-compte à la fois hostile et étrangement sublime.

Mickaël, médecin dévoué incarné par un Vincent Macaigne bien loin de son registre habituel, arpente chaque soir les rues de la capitale pour intervenir auprès de patients que lui proposent le coordinateur du service, Karim. Mais ceci n’est que la face découverte de ses nuits, car le docteur quarantenaire, papa de deux petites filles qui illuminent un quotidien embrumé, n’est pas qu’un simple « médecin de nuit ». Son cousin Dimitri, pharmacien interprété par Pio Marmaï, le contraint, par les liens forts qui les unissent depuis l’enfance, à l’aider dans son trafic de Subutex, médicament fortement contrôlé délivré uniquement sur ordonnances, ordonnances réalisées par Mickaël, qui va devoir s’engouffrer dans les abysses d’un Paris désenchanté, essayant malgré tout, parfois au péril même de ses proches, de faire le bien, ou tout du moins, de faire du mieux qu’il peut, en restant digne et refusant sans cesse de terribles compromissions…

La force première du long-métrage de Wajeman, thriller froid et noir faisant du Paris sombre son théâtre, réside indubitablement dans son atmosphère. Héritière modeste du génial Collateral de Michael Mann, qui filmait la nuit d’un tueur à gages et d’un chauffeur de taxi dans un Los Angeles atmosphérique, l’œuvre du réalisateur français plonge quant à elle dans la froideur d’une nuit d’hiver parisienne, où s’entremêlent les destins de Mickaël, troublé à la fois par des sentiments amoureux et familiaux complexes et par l’incessant et bourdonnant questionnement moral qui le taraude, et des gens qu’il rencontre, patients et toxicomanes, épouse et vieilles connaissances, cousin et criminels. Très intelligemment écrit, le scénario ne tombe à aucun moment dans l’écueil du rebondissement facile – hormis peut-être lors des ultimes instants du film – et, même s’il reste centré sur un homme, offre à voir une galerie de personnages subtilement caractérisés qui donnent une ampleur nouvelle au devenir de ce dernier. Mais ce qui vient parachever ce dernier point se trouve être la direction d’acteurs et la performance de chacun des comédiens qui en résulte : Macaigne, utilisé à contre-emploi, donne la meilleure version de lui-même, Sara Giraudeau, comme souvent, crève l’écran, et Pio Marmaï, peut-être un cran en-dessous des deux autres, reste efficace dans son rôle d’escroc déguisé.

Pour entrer maintenant plus en détail dans le propos que sous-tend le métrage, il ne fait pas de doute qu’Elie Wajeman a tenté de saisir les aspérités de la vie de Mickaël, qui en contient, pour son plus grand malheur, beaucoup trop. Car outre la trame centrale, finalement assez classique en ce qu’elle est affaire de trafic de drogue et d’interrogations morales sur ce que cela implique, ce sont les intrigues subsidiaires, pas vraiment parallèles puisqu’elle joue un rôle dans l’interminable de nuit de notre protagoniste mais suffisamment détachées pour constituer en elles-mêmes des moments d’une beauté rare et exquise. Aussi ténébreuse que peut être la soirée de Mickaël, il y aura des rencontres, parfois emplies de tendresse et de bienveillance – pensée particulière pour celle entre le héros et Nadège, jeune toxicomane venue chercher les ordonnances –, parfois teintées de violence et de mépris ; il y aura de l’amour aussi, et même des moments de bonheur. Mais tout cela est de courte durée, car la réalité menaçante et harassante d’un dehors hostile est toujours là pour rappeler sa présence à Mickaël.

Cette réalité est magnifiée par la caméra du cinéaste passé par la Fémis, qui, privilégiant la simplicité à l’extravagance pour ce qui est de la mise en scène, livre un regard cru sur une ville qui a rarement été filmée d’une telle manière. Le travail sur la photographie par David Chizallet renforce l’impression originelle que ce nord-est parisien où se déroule l’intégralité de l’intrigue est filmé tel qu’il est, désenchanté et morose, atterré malgré ses tours. Pareil choix est fondamental à l’heure de réaliser un film du genre, en ce qu’il permet de rester fidèle à l’ambiance que cherche à imprimer Elie Wajeman, en s’éloignant de l’éclairage naturel de Paris la nuit, et de restituer la couleur froide de l’existence des délaissés, dont Mickaël fait finalement partie.

Médecin de nuit est une ode à ceux qui souffrent, à ceux qui tentent de fuir une existence qui ne cherche qu’à les briser, et à un homme qui cherche à les accompagner, à être quelqu’un de bien à défaut d’être parfait. Car Mickaël est quelqu’un de bien, qui sombre à cause d’un environnement hostile et toxique, à commencer par la personne qu’il pense être la plus proche de lui, son cousin. Et si Médecin de nuit est un film dur, cru, douloureux, il est avant tout un film pour ceux qui ne croient plus en rien mais qui cherchent malgré tout à se battre pour aller chercher, au fond des ténèbres, lorsque la Ville Lumière s’éteint, le peu de bonté qu’il reste chez l’être humain.

Disponible dans les salles obscures.

7.5

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