Cinéma

Roma : une famille parmi d’autres et un océan de souvenirs…

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C’est dans le quartier de Colonia Roma, à Mexico, que l’on suit en privé l’intimité apparemment tranquille d’une famille et de sa nourrice. On l’oublierait presque : ce film est un récit autobiographique de l’enfance d’Alfonso Cuaron. Il a la pudeur de s’effacer, et ce n’est donc pas à travers le regard de l’enfant Cuaron que l’on se plonge dans le Mexique de 1971 mais en suivant la figure de Cleo, inspirée de sa nourrice bien réelle. Et tout en parvenant à rendre une vie étonnante à ces souvenirs, le regard sur ce passé maintient une distance qui tue dans l’œuf une nostalgie trop stylisée. Même un noir et blanc qui pourrait laisser méfiant tient plus d’un passé rendu présent que de souvenirs moribonds que l’on tente de ramener à la vie maladroitement. Et ici le talent de Cuaron se déploie parfaitement.

Visuellement impressionnant, Roma peut se vanter d’avoir plusieurs scènes qui relèvent du tour de force. Certaines ont nécessité jusqu’à 45 positions de caméra différentes de l’aveu de Cuaron. D’autres prennent l’air de grandes fresques murales mouvantes. Après Le Fils de l’Homme, qui a contribué à fonder la notoriété d’Alfonso Cuaron, on pourrait s’attendre à de longs plans séquence du même style. Ils sont nombreux, mais la démarche est totalement différente. La caméra se braquait sur l’action dans le fils de l’homme, et donnait des scènes d’une tension haletante, avec Roma, l’objectif balaye lentement les scènes à la façon d’un panorama et laisse toute la liberté de mouvement aux figurants. Ils se bougent d’abord naturellement, une absence apparente de calcul et une ingénuité qui tiennent d’un réalisme poétique laissant pointer un soupçon d’onirisme.

Le contexte social et politique est décrit avec le naturel d’une enfance lointaine. L’omniprésence de l’armée, le massacre du « Halconazo » où des dizaines d’étudiants furent tués sont ici dépeints sous la forme d’une intimité surprise par l’histoire qui surgit, à chaque fois, violemment. Les thèmes traités ne sont pas particulièrement originaux, c’est très bien ainsi : une banalité frappée de tragédie est deux fois plus poignante. La figure ordinaire de Cleo se prête magnifiquement à une illustration de la solitude maternelle, des clivages sociaux. Beaucoup du plaisir du film vient du travail acharné pour décrire des scènes apparemment ordinaires et anarchiques (que représentent bien les enfants) qui deviennent une symphonie visuelle bien orchestrée sans que rien ne soit laissé au hasard.

Malgré quelques lenteurs, et certaines scènes symboliquement trop appuyées, Roma a des airs d’accomplissement artistique pour la filmographie de Cuaron et son ambition semble justifiée.

Le regret, on ne le verra pas en salle, seulement sur Netflix : sur le petit écran, le trait monumental du film perd un peu de sa force.

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