Cinéma

The Green Knight – Les vertus envoûtantes de la fatalité

0

Petit événement de ce début d’année sur Prime Video – étant donné la malheureuse absence de distribution en salles du film – The Green Knight, le nouveau long-métrage du réalisateur en vogue David Lowery, génère logiquement de grosses attentes. Oscillant entre le cinéma indépendant et les productions Disney, l’auteur américain s’attaque cette fois-ci à l’adaptation d’un roman de chevalerie du Moyen-Âge, écrit en vers allitératifs. Audacieux, mais sans surprise et tout en maîtrise, Lowery délivre une épopée soyeuse et enchanteresse, où se mêlent inanité existentielle et périlleuse quête de soi.

Gauvain, neveu du fameux Roi Arthur, est chevalier de la Table ronde mais préfère mener une vie de débauche et d’oisiveté. Ses préoccupations sont bien éloignées de celles du Royaume mais, le jour de Noël, alors qu’un mystérieux personnage, le Chevalier vert, propose un défi à l’assemblée du Roi, Gauvain accepte et l’affronte. Décapitant sans difficulté ce dernier, il n’en est pas alors à penser que cet acte principiel sera à l’origine d’une épique odyssée – contrepartie du défi –, qui, un an plus tard, le poussera aux confins d’un monde étrange mais surtout, aux confins de lui-même…

The Green Knight se pose comme une pierre de plus dans l’œuvre que dessine au fil des années David Lowery, affirmant sa singularité sans ambages et confirme qu’il est un réalisateur puissant en ce qu’il sait prendre le temps de développer, parcelle par parcelle – littéralement au vu du chapitrage ostentatoire du film –, une histoire fleuve, épique, qui repose sur un matériau somme toute modeste. Car il faut le dire, le talent du cinéaste est décuplé tant le poème médiéval est sublimé par les talents de conteur d’un homme qui parvient à construire, à partir d’un classique de la légende arthurienne, un réel film qui se détache des propositions habituelles du genre par les directions radicales dans lesquelles il s’engage.

L’auteur de Milwaukee s’empare des grands espaces irlandais pour en faire le théâtre d’une histoire faussement linéaire, dans laquelle se perd un irresponsable qui vit et survit sur un fil entre paranoïa et vaillance. On s’abstiendra de révéler de quel côté il finira, s’il se montrera ou non à la hauteur de son rang, dans la grandeur ou la pire bassesse de l’humanité, mais une chose est certaine : son épopée est contée – véritablement – et magnifiée par la mise en scène de Lowery qui donne à des acteurs excellents – Dev Patel et Alicia Vikander en première ligne – un cadre dans lequel grandir. Cadre dans lequel vont se développer une myriade de personnages travaillés qui confèrent à l’œuvre prise dans son ensemble une portée ésotérique et métaphysique, chaque étape ou obstacle donnant une dimension nouvelle au film en même temps qu’à son protagoniste central. Les thématiques explorées – la fatalité, le sens du devoir, mais aussi le « dehors », l’éloignement de la civilisation – le sont en profondeur et rien n’est laissé sur le bas-côté, Lowery partant de l’œuvre originelle pour investir des enjeux qui lui sont chers et qu’il maîtrise à merveille.

Prenant le contrepied du déjà excellent A ghost story, le cinéaste choisit cette fois de faire la part belle aux plans larges, aux grands espaces, en scope, et confirme en offrant à voir une facette nouvelle de sa palette visuelle. Il conserve sa patte esthétique si singulière, sa quête de la perfection de chacun des plans, ne laissant rien au hasard, mais ne versant jamais dans un cinéma poseur qui se regarde filmer. Non, chez Lowery – et c’est probablement ce qui fait sa virtuosité –, le talent de composition est mis au service d’une ambition narrative assumée, au rythme lancinant certes, mais d’une puissance évocatrice rare.

Pari audacieux, The Green Knight est une étincelle dans le paysage cinématographique américain. Il est de ces films rares, précieux, capables de redéfinir les codes d’un sous-genre engoncé dans des standards vieillissants et qui peinent à maintenir l’intérêt du public. David Lowery, savant iconoclaste, impose ses images et donne vie, à travers des comédiens brillants et rarement aussi bien dirigés, à des personnages et à une histoire séculaires avec une réussite difficilement discutable. The Green Knight emporte avec lui et prend aux tripes un spectateur qui n’a d’autre choix que de se laisser hypnotiser par les aventures d’un Gauvain qui lui rappellera, à chaque instant, à quoi tient l’existence humaine et jusqu’où il est bon ou non de tenter de la sauver.

Disponible sur Prime Video.

8

Matrix Resurrections (2) – Pilule Cramoisie

Previous article

Residue – La dernière fois, le feu

Next article

Comments

Comments are closed.

Login/Sign up